Le patriotisme économique conduit à une double impasse

Par Par Patrick Artus, économiste et membre du comité exécutif Natixis  |   |  526  mots
Les entreprises multinationales disposent de réserves considérables de cash. Le gouvernement français s'inquiète donc du risque de passage sous contrôle étranger de plusieurs entreprises françaises, compte tenu des masses de liquidités disponibles pour ces rachats. Mais le patriotisme économique se heurte à deux obstacles majeurs.

Les entreprises multinationales disposent de réserves considérables de liquidités (de cash) : 2 200 milliards de dollars aux Etats-Unis, 2 000 milliards d'euros dans la zone euro, 4 000 milliards de dollars au Japon. Ceci résulte de ce que la hausse des profits n'a pas conduit à une hausse parallèle des investissements et a permis l'accumulation de ces réserves de liquidités.

On se trouve donc, certainement, au début d'une période où les fusions et acquisitions d'entreprises vont se multiplier. Ce qui s'est vu en France aussi (fusion Lafarge-Holcim, proposition de rachat de la division énergie d'Alstom par General Electric…). Le gouvernement français s'inquiète donc du risque de passage sous contrôle étranger de plusieurs entreprises françaises, compte tenu des masses de liquidités qui sont disponibles pour ces rachats. Une décision de bon sens serait alors de renforcer la capacité de l'Etat français à intervenir dans ces offres de fusion-acquisition, même de les bloquer si nécessaire, surtout si elles affectent les secteurs où la France est restée en haut de gamme : énergie, aéronautique, pharmacie… et si elles impliquent le transfert du siège social à l'étranger, ce qui a souvent des conséquences néfastes (délocalisation aussi de la recherche, des opérations financières).

Deux obstacles majeurs

Le « patriotisme économique », sous cette forme, peut paraître nécessaire pour préserve la nationalité française d'entreprises ayant des productions sophistiquées. Mais il se heurte d'abord à deux obstacles majeurs.

En premier lieu, maintenir les entreprises françaises à l'écart d'un mouvement mondial de consolidation et de constitution de grands groupes. Le patriotisme économique français conduira évidemment à une réaction symétrique des autres pays ; si les entreprises étrangères ne peuvent pas faire d'acquisitions en France, on ne voit pas comment les entreprises françaises pourraient être autorisées par les autres pays à faire des acquisitions. Elles vont donc rester trop petites pour accéder aux marchés mondiaux. Rappelons que dans les 10 prochaines années, on attend 1 % de croissance annuelle dans la zone euro, 3 % aux Etats-Unis, 2 % au Royaume-Uni, 4 % en Asie, 5 % en Afrique…

Un besoin d'actionnaire étrangers

Le second obstacle est l'insuffisance des investisseurs domestiques en actions, en France. Il n'y a pratiquement pas de fonds de pension ; les assureurs ont des portefeuilles d'actions de petite taille (représentant 6 à 7 % en moyenne du total de leurs actifs). La base d'investisseurs domestiques en actions qui pourraient détenir les entreprises n'existe donc pas en France, ce qui explique que la part des actions cotées françaises détenue par les non-résidents est passée de 24 à 33 %.

Quoi que fasse le gouvernement, les entreprises françaises ont besoin d'actionnaires étrangers. Il ne peut donc pas y avoir de « patriotisme économique strict » en France, avec la nécessité de constituer des groupes mondiaux et avec l'insuffisance de la base domestique d'investisseurs en actions. L'Etat français ne peut pas empêcher la propriété étrangère des entreprises, sauf dans quelques rares cas très stratégiques, mais il peut vérifier qu'elle ne conduit pas à la délocalisation de la production et des centres de recherche.