La fin d’un cycle politique ?

Par Par Michel Wieviorka, sociologue, directeur d’études à l’EHESS.  |   |  575  mots
Au début des années 70, se formait le couple politique qui dominera la vie politique française durant 40 ans. Ce couple est aujourd'hui en pleine décomposition. Le résultat des élections européennes de dimanche en est la parfaite illustration.

En 1974, la droite, avec Giscard d'Estaing, inaugurait une nouvelle ère politique en ce qui la concerne : la sortie du gaullisme était consacrée, même si ensuite de nombreux acteurs politiques ont tenu à se réclamer de De Gaulle, plus ou moins fictivement ou arbitrairement.

Un peu plus tôt, en 1971, un nouveau Parti socialiste émergeait, à l'occasion du Congrès d'Epinay, sous la forme d'un rassemblement de courants et de partis jusque-là séparés. S'ouvrait la période qui devait aboutir à la victoire de François Mitterrand à l'élection présidentielle de 1981.

Ainsi s'est constitué, au début des années 70, le couple politique dominant la vie électorale française. Ce couple a plus ou moins bien fonctionné durant quarante ans, avec certes des bas et pas seulement des hauts. Toujours est-il qu'il est aujourd'hui en pleine décomposition.

L'image d'une crise totale à droite

A droite, une force nouvelle s'est imposée, un Front national encore lesté de son vieux fonds extrémiste, xénophobe, raciste et antisémite tout en se voulant respectable, dé-diabolisé. Et les héritiers de la droite classique donnent l'image d'une crise totale : morale, avec le spectre de la corruption qui rôde autour d'elle, de leadership, de projet.

A gauche, le Parti communiste, hier allié difficile pour les socialistes, mais qu'il leur fallait maintenir en vie, est désormais une force mineure, et le gouvernement donne l'image de l'impuissance et de l'incapacité à sortir le pays de la crise. Là aussi, il n'y a guère de projet ou de vision. De plus, ce qui semblait faire la solidité du Parti socialiste, son caractère municipal, est considérablement dégradé, et risque de l'être encore plus : ce parti d'élus locaux ne se voit-il pas proposer une réforme territoriale qui réduira nécessairement leur nombre ?

Devenu, et avec un retard conséquent, le troisième parti de France, et sans perspectives d'avenir, il pourrait, sous la houlette de François Hollande, poursuivre sa descente aux enfers, et -cela s'est déjà vu dans l'histoire- disparaître ou presque, purement et simplement, se décomposer. Déjà, une partie de ses parlementaires renâcle, et rien n'interdit d'envisager des scissions et des départs, une sorte de régression vers ce qui préexistait au Congrès d'Epinay.

Accélérer l'entrée dans un nouveau cycle

Si l'analyse que j'esquisse ici est fondée, et si le fort taux d'abstention aux élections européennes que nous venons d'enregistrer vient nous dire surtout que l'offre politique actuelle, en dehors du FN, ne correspond plus aux attentes de la population, alors, une conclusion s'impose : nous vivons la fin d'un cycle politique. Et nous devons nous poser une question : est-il possible d'accélérer l'entrée dans un nouveau cycle, d'encourager la formation d'acteurs et de partis mieux adaptés aux temps présents, capables de forger des visions d'avenir, et de ré-enchanter l'action politique en liaison avec les attentes d'une société qui vient de dire qu'elle ne veut plus de ce système dépassé ?

Il y a urgence à apporter une réponse positive à cette question, faute de quoi le FN, qui vient remplir le vide idéologique et politique façonné par la situation présente, continuera de prospérer avec, comme tout populisme, l'incapacité à proposer des programmes constructifs, et comme tout extrémisme de droite, l'ouverture élargie des espaces de la haine.