Jean-Michel Bérard : "Le Clust'R Numérique doit devenir un acteur européen majeur"

Suite à l'annonce de la fusion entre les deux plus grands clusters numériques et logiciels de la région Auvergne Rhône-Alpes, le nouvel ensemble féderera 600 membres, pour un chiffre d'affaires cumulé d'environ 3 milliards d'euros. Une décision vitale pour faire du territoire un acteur reconnu sur la carte de l'Europe, et combler les lacunes - internationalisation, attractivité, formation - d'une filière au potentiel énorme. Entretien avec Jean-Michel Bérad, présient du Clust'R Numérique, alors que se déroule ce jeudi la première édition du Digital Summ'R, un événement organisé par le cluster et qui vise à booster la compétitivité des entreprises du secteur.
Jean-Michel Bérard, fondateur d'Esker, est président du Clust'R Numérique depuis avril 2015.

Acteurs de l'économie - La Tribune. Depuis 2015, les acteurs régionaux des clusters logiciels numériques sont en ébullition, avec de nombreuses fusions. Dernière en date, le rapprochement annoncé, pour le 1er janvier 2017, du Clust'R Numérique avec le cluster stéphanois Numélink. A quelles ambitions, quelles nécessités et obligations, ces mouvements répondent-ils ?

Jean-Michel Bérard. Par rapport aux autres fusions, le rapprochement avec Numélink est une grosse opération, car la taille de ce cluster est comparable à la nôtre : 300 adhérents, un budget équivalent, et des permanents supplémentaires.

L'objectif est de bâtir un cluster régional capable de faire le poids au niveau européen. Ce rapprochement fédérera 600 acteurs, qui représenteront presque 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

Cette opération vise donc à donner une visibilité à l'ensemble de l'écosystème numérique régional, et également à améliorer la lisibilité de cet écosystème, afin d'aiguiller au mieux les entreprises de la filière. La logique visant à multiplier les structures est dépassée.

Ces deux dernières années, les deux nouveaux "mariés" grandissaient chacun de leur côté, avec leur propre orientation territoriale. Le Clust'R Numérique est né en regardant davantage vers Grenoble, tandis que Numélink était plutôt orienté vers l'Ardèche et surtout l'Auvergne. Quels ont été les facteurs primordiaux qui ont permis cette fusion ?

L'élément déclencheur, c'est la volonté de faire un cluster européen. Aujourd'hui, la région Auvergne Rhône-Alpes n'est pas identifiée, à l'échelle européenne, comme une région numérique. L'objectif est donc de rassembler tous les acteurs, afin de constituer un pôle économique puissant dans ce secteur.

L'autre élément essentiel, qui a permis cette décision, repose sur le caractère "fédéral" de la future organisation. Certes, le cluster sera basé à Lyon, mais des représentations puissantes seront installées dans chaque agglomération. Un bureau sera établi dans chacune des grandes métropoles, de manière à ce que les ressources locales restent sur le territoire, aux services des entreprises locales. Nous avons déjà commencé ce travail, notamment avec l'antenne grenobloise. L'ouverture d'un bureau sur les Savoies répond également à cet équilibre du territoire.

Au niveau organisationnelle, il est difficile pour moi de m'avancer davantage, alors que les discussions sont en cours. Cependant, l'idée est de proposer des comités territoriaux et un comité régional, fidèle à la logique exposée précédemment. Mais la question de la représentativité de chacun des territoires, au sein du conseil d'administration régional du cluster, sera une question centrale.

À mon sens, il n'y avait pas d'autres manières de procéder : fédéralisme, équilibre du territoire et indépendance.

Resterez-vous à la tête du cluster à la suite de la fusion ?

Je n'en fait pas une affaire personnelle. Je resterai quoi qu'il arrive dans le cluster.

Quelles sont les forces nouvelles, les complémentarités issues de ce rapprochement et qui vont permettre au cluster, et aux entreprises du territoire, d'être compétitives et visibles au niveau européen ?

La complémentarité entre les deux structures se retrouve particulièrement dans les typologies respectives des membres des clusters. Numélink est essentiellement constitué par de petites entreprises, alors que le Clust'R Numérique, possède un peu moins de membres, mais de plus grosses tailles : des ETI et des grosses PME.

Autre point important, le nombre d'adhérents constituera une force certaine pour le cluster. Avec plus de 600 membres, et 1,5 million d'euros de budget, le Cluster'R Numérique deviendra la première structure de France. Ses membres représenteront environ 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Mais pour être crédibles au niveau européen, nous devons fédérer pour 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

Comment comptez-vous faire pour atteindre cette dimension européenne et rivaliser avec Berlin, Stuttgart, Londres...?

Cela rentre pleinement dans les actions du cluster : attirer des entreprises étrangères, des talents, qui souhaitent monter des entreprises ou travailler pour les nôtres. Puis, il faut s'appuyer sur la promotion du savoir-faire territorial, qui est très bon, mais très dispersé. L'écosystème doit être fédéré, stimulé, reconnu. Ainsi, dans cette optique là, nous développons déjà deux outils.

D'une part, l'observatoire du numérique lancé il y a quelques mois, permet à la filière de connaitre ses forces et ses faiblesses.

D'autre part, c'est le grand rassemblement des acteurs logiciels et numériques sur une journée, dans le cadre du Digital Summ'R. Ce genre d'événement est une occasion de grandir ensemble, d'échanger des bonnes pratiques, d'utiliser l'exemplarité et l'émulation, de répondre aux questions et challenges auxquelles font face concrètement les entrepreneurs, et enfin, de proposer un temps de networking pour que les membres puissent, pourquoi pas, conclure des affaires ensemble.

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Le Cluste'R Numérique est soutenu par la Région Auvergne Rhône-Alpes. Comment travaillez-vous avec le nouvel exécutif ? Avez-vous des orientations claires ?

Par rapport à l'ancienne équipe, le grand changement réside dans le fait qu'en la personne de Juliette Jarry (vice-présidente en charge de l'artisanat, du commerce de proximité et du numérique, NDLR), nous avons une interlocutrice pleinement identifiée et dédiée au numérique.

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Et sa mission est claire : développer l'industrie du numérique sur le territoire. Le rapprochement avec Numélink se fait, par exemple, avec la bénédiction de la Région.

Estimez-vous réalisable, l'ambition de Laurent Wauquiez, qui martèle depuis son arrivée aux responsabilités régionales, de faire de la région la "Silicon Valley Européenne" ?

Lorsqu'on parle de la Silicon Valley, on parle d'un territoire 100 fois plus gros que ce que représente notre force. Le PIB isolé de la Californie est supérieur à celui de la France.

Nous avons certainement les moyens de cette ambition, mais je dirai qu'il faut y aller par étape : devenir le premier cluster de France, s'intégrer dans le top 5 des clusters en Europe, puis être à termes le premier cluster numérique à l'échelle du continent. Ensuite, seulement, nous pourrons imaginer faire concurrence à la Silicon Valley. Le travail pour atteindre ce dessein est immense, et c'est à mon sens, une affaire de 10 ou 20 ans, si nous gardons le même cap.

Certains indicateurs permettent de prendre concrètement la mesure de cet écart qui existe aujourd'hui entre le territoire et les autres espaces de références du numérique. Par exemple, les entreprises régionales, peut-être plus qu'ailleurs, souffrent d'un manque de main-d'œuvre qualifiée, alors que la guerre des talents fait rage. Pourtant, une lame de fond semble s'opérer sur le territoire, avec la création de plusieurs structures : l'Esta, Simplon.co et son partenariat avec l'EPSI, etc. Mais aussi, l'annonce du campus du numérique porté par la Région. Est-ce suffisant par rapport au besoin ?

La multiplication des formations est une nécessité absolue. Cependant, il peut y avoir un malentendu : les besoins sont essentiellement sur des ingénieurs-informaticiens généralistes, de type Bac +5. Nous avons certes besoin de développeur web, mais ce n'est pas le gros des troupes. C'est davantage le profil des élèves issus, par exemple, de l'Ensimag, de l'école des Mines de Saint-Etienne ou de l'Insa, qu'il faudrait multiplier. Regardez la Silicon Valley : ce n'est pas dans des "écoles du web" que se forment les talents du numérique, mais dans des universités prestigieuses : Stanford, Berkeleys.

Nous devons tendre vers ce niveau d'excellence. Et à mon sens, nos prestigieuses écoles, comme l'Insa, doivent explorer d'autres formules pour former plus de talents. Je pense notamment à l'apprentissage. Certains verrous qui existaient, notamment au niveau régional pour expérimenter ce cursus, devraient sauter.

Vous semblez défendre une vision de la formation plus généraliste et transversale. Pourtant, d'autres voix prépondérantes, notamment au sein de la French Tech, suggèrent la création de formations très spécialisées....

De mon point de vue, il faut des ingénieurs informaticiens généralistes, car nous sommes positionnés dans des mondes où la technologie et son usage, évoluent sans cesse. Que se passera-t-il si on forme des hyperspécialistes dans un domaine, et que cinq ans après, cette technologie devient obsolète ? Formons des gens avec la tête bien faite, capables d'appréhender différentes technologies, mais aussi différentes activités (business, design, relation commerciale).

Autre grand frein révélé par l'Observatoire du numérique, afin de faire de la Région un leader européen : l'attractivité internationale du territoire. La région Auvergne Rhône-Alpes se classe à la 17e place, loin derrière l'Ile-de-France. Comment expliquez-vous cette mauvaise performance, alors que les entreprises régionales proposent des services performants et innovants. Comment y remédier ?

L'étude nous a permis de découvrir cette carence, ce retard. Je pense que ce mauvais classement relève davantage d'une question d'image. Les infrastructures sont là, le cadre de travail est agréable, il y a des grandes écoles sur le territoire, ainsi que de nombreuses compétences. Le prix du travail n'est également pas très élevé par rapport à Paris, Londres, ou Amsterdam. Nous devrions ainsi être attractifs.

Faiblesse pour attirer des entreprises internationales, mais aussi, difficulté pour les entreprises de la Région à se projeter sur les marchés étrangers. Selon l'Observatoire du numérique, seulement un patron sur quatre de la filière estime que son potentiel de croissance est à l'extérieur des frontières hexagonales. Comment expliquez-vous cette frilosité, voire ce blocage mental ?

Nous devons certainement manquer d'exemples de sociétés qui réussissent, afin que les autres s'identifient à ce succès et se disent, qu'elles aussi peuvent réussir. La taille des entreprises de la filière est également un frein à l'export. En effet, ce n'est pas évident pour les petites structures, de 4 ou 5 salariés, de penser, et surtout d'avoir les moyens et l'énergie de regarder à l'international.

Ainsi, de ce cas de figure, le cluster peut aider aux regroupements afin de fédérer les énergies. Au sein du Cluster, mais aussi, à l'international, où notre rôle est de créer pour nos membres des passerelles avec d'autres structures. C'est en ce sens que nous réfléchissons à un rapprochement avec le cluster du Québec, et plus généralement, ceux francophones.

Nous devons nous inspirer des formules qui marchent, en France et ailleurs, et les diffuser au sein du cluster.

La question des financements est également une problématique souvent soulevée par les acteurs, notamment les startups...

Le problème, notamment pour les séries A - mais c'est une problématique récurrente du capital-risque en France, c'est la longueur du traitement de la demande. Mais encore une fois, il faut de belles réussites pour accélérer le mouvement et attirer davantage d'investisseurs.

Cependant, ce n'est pas parce qu'il y aura une offre de financement énorme que les freins de nos entreprises n'existeront plus. Il faut que l'ensemble de la filière monte en compétence, que certaines entreprises rencontrent des succès, et que ces succès soient connus et reconnus. Le cluster doit permettre d'engager cet effet boule de neige.

Quel est votre regard sur la politique nationale portée par Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat chargée du Numérique ?

La French Tech a permis de mettre un coup de projecteur sur les acteurs du numérique, les startups, démontrant un vrai dynamisme de la filière. Cependant, je pense que ce dispositif vient un petit peu à contre-pied du Cluste'R Numérique, car nous sommes un acteur régional, alors que le label French Tech se découpe majoritairement par métropole.

Un modèle de labellisation régionale et non pas par ville aurait-il été, selon-vous, plus efficace ?

Une bannière French Tech Auvergne Rhône-Alpes serait une superbe initiative, plus simple. Surtout, les différents territoires labellisés auraient une belle complémentarité entre-eux. On serait alors sur la même dimension géographique que le cluster, mais avec des attributions bien définies : la French Tech davantage orientée sur les startups, tandis que le cluster pourrait se positionner en soutien des entreprises du numérique déjà "prêtes".

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