E. Bourcieu (Commission européenne) : "Pas d'accord TTIP sans concession américaine"

Le projet d'accord de libre-échange transatlantique entre l'Europe et les États-Unis (TTIP/TAFTA) entre dans le money time. Ce projet, lancé en 2013, vise à libéraliser les échanges entre les deux parties grâce à une réduction des droits de douane et à une plus grande harmonisation réglementaire. Pour Édouard Bourcieu, représentant de la Commission européenne en France pour les questions commerciales, les "Américains doivent aligner leur parole sur leurs actes s'ils souhaitent conclure l'accord" et ainsi éviter l'échec des négociations. Une issue qui réjouirait une opposition sans-cesse grandissante - notamment en Allemagne où le vice-chancelier allemand, Sigmar Gabriel, ne croit plus à la conclusion du traité, comme il l'a souligné dimanche 28 août 2016. Mais aussi dans l'opinion publique, et ce depuis de nombreux mois, à laquelle le représentant européen affirme que la majorité des inquiétudes a été levée, défendant ainsi la réforme des tribunaux arbitraux privés et la prééminence des réglementations nationales sur les thématiques sensibles.

Interview publiée le 29/04/2016. Actualisation le 29/08/2016 à 9:23

Acteurs de l'économie - La Tribune. Le 13e round des négociations du traité TTIP/TAFTA s'est ouvert ce lundi à New-York. Où en sont les négociations ? Quelles sont les grandes étapes et enjeux de ce cycle ?

Édouard Bourcieu. L'actuel cycle de négociations s'inscrit dans une série qui s'étendra jusqu'à l'été. Le but est de s'assurer que le degré de maturité dans tous les aspects des discussions est le même, avant, le cas échéant, d'entrer dans la phase finale, davantage politique, des négociations, prévue à l'automne.

L'un des grands enjeux de ce cycle est le rattrapage de points techniques, notamment celui de la coopération réglementaire, très complexe. Les idées sont un peu plus claires, secteur par secteur, de ce que l'on souhaite faire. Il faut désormais que cela se traduise dans des textes juridiques, du côté américain et européen, d'ici à l'été.

Ensuite, il s'agira de passer à la phase finale des négociations, un défi davantage politique. Il tient à l'équilibre entre les différentes dimensions de l'accès au marché : les droits de douane (dont les négociations sont bien avancées), l'accès aux marchés publics, les services, les indications géographiques.

L'objectif est de conclure les négociations d'ici à la fin de l'année 2016.

Lire aussi : TTIP/Tafta: le vice-chancelier allemand ne croit plus à la conclusion du traité.

Justement, la fenêtre de tir des négociations se réduit. Barack Obama va quitter la Maison-Blanche. Comment l'Europe appréhende ce "money time" ?

Il faut garder la tête froide. Les États-Unis veulent conclure avant la fin de l'année et le départ de Barack Obama. Côté européen, nous sommes prêts à le faire. Notre volonté est forte.

Mais si les Américains souhaitent conclure en 2016, ils devront bouger sérieusement sur des sujets comme les marchés publics ou les indications géographiques. À ce titre, Matthias Fekl (Secrétaire d'État chargé du Commerce, NDLR) l'a rappelé récemment pour la France.

Les actes des Américains doivent être alignés avec leur parole. Mais le seul critère sera le contenu. Nous ne sacrifierons pas les intérêts européens au calendrier de négociations. Si le contenu n'y est pas, il n'y aura pas de conclusion avant la fin de l'année, et les négociations continueront avec une nouvelle administration américaine. Il vaut mieux un bon accord qu'un accord conclu à la va-vite.

Sur le sujet des marchés publics, comment se positionnent les Américains ?

Un texte commun a été cosigné notamment par les représentants européen et américain du commerce. Ce document affirme, concernant les marchés publics, une amélioration substantielle de conditions d'accès, à tous les niveaux, fédéral et subfédéral.

On s'en tient à cette déclaration. Évidemment, c'est une question très sensible du côté américain. Mais c'est une condition essentielle. Il n'y aura pas d'accord transatlantique s'il n'y a pas de résultats et concessions tangibles sur la question des marchés publics.

Revenons sur le fond du traité. Alors que cet accord vise à booster la croissance entre les deux continents, l'une des seules études sur le potentiel économique de ce projet fait état d'environ 119 milliards d'euros de croissance d'ici à 2027, soit moins d'un 1% du PIB européen, ramené à un chiffre annuel*. Cette perspective justifie-t-elle un tel chamboulement réglementaire ?

Ce n'est pas tout à fait négligeable. Dans beaucoup de pays d'Europe, c'est une perspective que beaucoup aimerait avoir, dans un contexte de déficit de croissance et d'emplois. Ce traité est une solution, une contribution parmi d'autres, mais ce n'est pas non plus la solution à tous nos maux.

D'autres accords réalisés par l'Europe permettent la croissance et l'emploi, à l'instar de celui avec la Corée du Sud conclu en 2011 : + 70 % d'augmentation des exportations européennes vers ce pays, une balance commerciale qui est redevenu excédentaire, etc.

Ainsi, ce genre d'accord permet une redistribution des cartes, qui peut être à l'avantage des Européens, à condition d'être capables de négocier des termes ambitieux et bénéfiques pour l'Europe.

Quels seraient les intérêts pour les PME françaises ?

Dans de nombreux secteurs, les entreprises françaises y trouveront un intérêt, particulièrement là où les droits de douane restent encore importants : textile et habillement (jusqu'à 40 %), céramique, matériel de transport ferroviaire, pneumatiques. Nous pouvons également citer le transport maritime ou aérien, les télécoms (plafond d'investissement de 20 %), la mobilité des travailleurs, etc.

Dans l'agriculture, il y a de nombreux intérêts offensifs, particulièrement sur les produits laitiers, les vins et les spiritueux, les produits alimentaires transformés et les fruits et légumes.

En ouvrant autant les marchés, les entreprises pourraient avoir des perspectives de croissance à l'international. Mais elles s'exposent, aussi, à la concurrence sur leurs propres marchés, dans des secteurs où elles peuvent déjà être en difficulté, à l'instar de l'agriculture, où la filière française bovine est à l'agonie et doit, déjà, faire face à une concurrence intra-européenne....

C'est sur ce créneau précis que la Commission européenne va concentrer l'essentiel de son "capital de protection" dans les négociations.

Il existe aujourd'hui un accord européen et américain pour éliminer les droits de douane sur 97 % des produits. Les 3 % exclus de ce protocole concernent les produits agricoles. C'est acté uniquement du côté européen. Il est hors de question d'avoir une libéralisation totale dans le bœuf, le porc ou la volaille. L'ouverture sera contrôlée, limitée dans un niveau absorbable par le secteur.

Concernant le deuxième pilier du traité, quelle sera la ligne rouge en matière de norme réglementaire ?

Il n'y aura pas d'abaissement des normes de protection des consommateurs, de l'environnement, de la santé. Le porc aux hormones, le porc à la ractopamine ou le poulet chloré sont et resterons interdits.

Ce sont des cas très médiatisés, mais le diable se cachera sans doute dans les détails...

C'est un principe qui s'applique à l'ensemble des produits et auquel on ne dérogera pas.

La substance de la coopération réglementaire repose sur des approches similaires ou comparables sur un produit, afin d'éliminer les doublons et les complications administratives, sans toucher aux domaines différents. Nous garderons nos différences.

À ce titre, le Conseil de coopération complémentaire est une instance qui doit assurer cette harmonisation des normes également après l'entrée en vigueur éventuelle du traité. Il attise la méfiance de nombreux acteurs, certains estimant que "c'est l'outil ultime pour affaiblir les futures normes d'intérêt général". Où en est-il ? Quelles seront ses fonctions ?

La Commission a révisé sa position sur l'aspect de la coopération réglementaire. Ce sujet a été mis sur la table des négociations lors du dernier cycle, fin février. Ce nouveau document ne comporte plus de conseil de coopération réglementaire, et explique clairement la manière dont les choses devraient se passer à l'avenir, en fixant un certain nombre de principes, à l'instar de la souveraineté réglementaire, qui devra rester pleine et entière, aussi bien du côté européen qu'américain.

Tout ce que l'on fait, c'est de prévoir un dialogue entre les régulateurs des deux côtés de l'Atlantique. Cela permettra de s'assurer, comme c'est le cas aujourd'hui dans les négociations, d'échanger sur les défis réglementaires des deux entités.

Ce document est publié, comme toutes les propositions de l'Europe dans les domaines sensibles. Chacun peut prendre connaissance de ce texte juridique, qui explique comment sera envisagée la coopération réglementaire à l'avenir.

Le projet de mise en place de tribunaux arbitraux privés a également été très critiqué. A priori, des évolutions ont été apportées. L'Europe est-elle capable d'entendre les injonctions citoyennes ?

C'est un exemple de la capacité à s'engager dans le débat, à regarder point par point les critiques à l'encontre des dispositifs antérieurs. On a arrêté pendant un an et demi les négociations, le temps de prendre en considération les inquiétudes et d'y répondre, aussi bien sur le point substantiel - la réaffirmation du droit souverain à réguler -, et sur le point procédural - avec la substitution d'un système de cour publique internationale composée des juges nommés par les États, au système antérieur de tribunaux arbitraux, avec des arbitres nommés, notamment, par les investisseurs.

Nous souhaitons un système impartial, et qui donne toutes les garanties nécessaires en matière des droits des États de réguler, empêchant toute remise en cause des politiques publiques légitimes.

Que répondez-vous aux opposants du projet, et au plus de trois millions de citoyens européens qui ont signé une pétition, qui estiment ce texte antidémocratique, opaque, anti-écologiste et qui impose un agenda néolibéral pour plusieurs décennies ?

Les documents mis en ligne sont les plus récents. C'est sur ces textes que la Commission aborde les négociations. Au sujet de tout ce que l'Europe engage dans les négociations, y compris dans les domaines les plus sensibles, les données sont librement accessibles, sur le site internet de la Commission. Ceux qui critiquent le manque de transparence ne lisent pas ces documents.

Cependant, certains documents restent confidentiels : les commentaires tactiques sur les cycles de négociations d'environ deux pages. Ils résument comment nous abordons la situation avec les Américains. Rendre public ce document minerait les intérêts des Européens.

Ces commentaires restent confidentiels, mais l'important, c'est que ces documents soient accessibles à toutes les autorités démocratiques légitimes qui contrôlent les négociations, à ceux qui ont demandé à la Commission de négocier l'accord, et in fine, à tous ceux qui ratifieront l'accord.

Donc à tous parlementaires européens et nationaux qui en feraient la demande ?

Tous les députés européens ont accès à ces documents, toutes les administrations et tous les gouvernements nationaux, ainsi que tous les parlementaires nationaux y ont accès. Mais cette consultation doit se passer sur la base d'un minimum de sérieux, c'est-à-dire des salles de lecture afin que ces documents confidentiels le restent. Lorsqu'on traite de choses sérieuses, il faut se comporter de manière sérieuse, et respecter les conditions de négociations.

Quelle est la portée géopolitique de cet accord ?

C'est une motivation souvent effacée derrière la dimension de croissance et de création d'emplois, qui est assez évidente dans le cadre bilatéral. Mais en réalité, ces négociations menées entre deux poids lourd mondiaux ont une portée plus importante, globale, et qui tient à l'évolution du monde d'aujourd'hui.

L'émergence de nouveaux acteurs dans le commerce mondial, le déplacement du centre de gravité de l'économie planétaire vers l'Asie - ce qui n'est pas nécessairement une mauvaise chose - et en même temps l'essor de nouvelles formes de capitalisme d'État (Chine, Russie), posent des questions sur la loyauté de la concurrence, sur les normes sociales et environnementales et énergétiques, comme par exemple, couper le gaz à son voisin sans limitation.

L'enjeu de cet accord porte également une dimension de régulation de la mondialisation. À travers ce projet, comme d'autres établis par l'UE avec d'autres partenaires, il s'agit de reprendre l'initiative pour développer certaines règles afin d'encadrer les échanges mondiaux. Ce souhait a longtemps été porté au sein de l'OMC, mais aujourd'hui, cette organisation à plus de difficulté pour aboutir à des accords ambitieux. On trouve donc d'autres moyens pour cela, à travers des accords bilatéraux.

*A ce sujet, voir le chapitre 5 de l'ouvrage du journaliste Maxime Vaudano "Docteur TTIP et Mister TAFTA (Ed. Les petits matins).

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Commentaires 6
à écrit le 02/05/2016 à 13:52
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L'acharnement US à défendre des procédures d'arbitrage privées , est hautement suspect. C'est le coeur de leur ambition : s'affranchir des lois, jurisprudence et règlement européens, pour vendre leur soupe ici en toute impunité . Mais une procédure...

à écrit le 30/04/2016 à 8:47
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Tout cet exposé résumé par "pas d'accord sans réciprocité". Tout est dit...

à écrit le 29/04/2016 à 20:03
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D'un coté vous avez l'anarchie qui veut s'imposer, de l'autre la qualité qui veut se maintenir!

à écrit le 29/04/2016 à 15:42
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Un écart important et continuel entre le dollar et l'euro n'est bien sûr pas un inconvénient dans la concurrence entre les 2 continents , tout est bon pour les libéraux!!!!

le 29/04/2016 à 19:45
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Qui a dit que ça be comptait pas ? Mais savez-vous seulement qui, de l'Europe et des Etats-Unis, exporte le plus de marchandises chez son partenaire ? L'Europe, avec un excédent commercial de 100 milliards d'euros, chaque année, avec les Etats-Uni...

le 30/04/2016 à 19:53
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@ EdouardBourcieu Si l'Europe a un confortable excédent commercial avec les US, même dans l'agriculture, que n'a t-on faire d'un Traité qui risque de nous faire perdre cet avantage. Donner aux américains les moyens d'affirmer leur impérialisme ne me...

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