Dietrich Wolf  : "EyeTechCare ne s'est pas vendue à des Chinois"

Début janvier, EyeTechCare a levé 25 millions d'euros auprès d'un fonds chinois, Everpine. Avec cet investissement, qui se fera en deux temps, ce nouvel entrant devient l'actionnaire de référence de la jeune pousse spécialisée dans les biotechs. Ce partenariat stratégique renforce sa volonté de conquête d'un marché chinois à fort potentiel, où elle espère imposer sa technologie d'ultrasons pour traiter les glaucomes*. À la tête de l'entreprise lyonnaise depuis juin 2014, Dietrich Wolf, Bavarois de 47 ans, justifie ce choix tactique.

Acteurs de l'Economie - La Tribune. EyeTechCare s'est tourné vers un fonds chinois, Everpine Capital, pour collecter 25 millions d'euros. Pourquoi ce choix  ? Est-ce par défaut, parce que vous n'arriviez pas à obtenir un tel montant auprès de financiers français, et en particulier ceux qui vous accompagnent depuis l'origine, Omnes Capital, le CEA et Sham Innovation Santé ?

Dietrich Wolf. Je n'ai pas demandé aux investisseurs déjà présents de remettre de l'argent, car ma stratégie était de me tourner vers un acteur international. Ce tour de financement constitue une belle opportunité pour que cette innovation française se développe à l'étranger et notamment en Chine. Il comprend une levée de fonds de 20 millions, en deux étapes, tandis que les cinq millions restants ont servi à acheter une petite partie de la participation d'Omnes Capital correspondant à la fin de vie d'un de leurs fonds sous gestion.

Cette augmentation de capital n'aurait-elle pas dû se finaliser un an plus tôt ?

En janvier 2015, nous avons bien procédé à une augmentation de capital de 4,5 millions souscrite à hauteur de deux millions par Banexi Ventures, un nouvel entrant, et, pour le solde, par les actionnaires présents au prorata de leur participation respective. Il s'agissait de pré-financer une collecte plus importante et qui devait prendre plus de temps. Entre six et neuf mois se sont passés entre les premiers contacts avec Everpine et la signature de l'opération.

Comment ont réagi les actionnaires historiques quand vous leur avez présenté cet investisseur chinois ?

J'ai dû les convaincre ! L'équipe d'Everpine faisait partie de mon réseau d'affaires en Chine dans ma fonction précédente chez Carl Zeiss Meditec. Les dirigeants sont des Chinois qui ont vécu aux États-Unis ou en Europe et connaissent la culture occidentale. Ce qui était important pour travailler ensemble. Ils viennent des univers de la finance ou de l'entreprise.

Ce fonds, qu'ils ont constitué en 2015, est notre actionnaire de référence mais il n'a pas la majorité en termes de droits de vote. Le pacte des actionnaires assure une solidarité entre les différents investisseurs. EyeTechCare ne s'est pas vendu à des Chinois.

Dietrich Wolf

Cet actionnaire, vous l'avez approché pour vous aider à pénétrer le marché chinois. S'attaquer à un marché lointain réputé difficile n'est-ce pas osé pour une jeune société ? N'avez-vous pas peur que votre technologie de traitement par ultrasons soit copiée ?

Il ne faut pas avoir peur d'aller en Chine qui compte 22 millions de personnes souffrant d'un glaucome et représente un vrai potentiel pour notre solution non invasive. Nous avons déposé plusieurs brevets et notre invention est protégée dans ce pays. De son côté, Everpine a mené des investigations approfondies.

Le processus en vue de l'homologation de notre traitement par les autorités sanitaires compétentes a démarré mi-2015 et devrait prendre deux ans. Nous entrons dans la phase clinique en ciblant deux ou trois centres hospitaliers de référence. Nous en avons identifié un à Shanghai et un autre à Canton. Il nous en faudrait un à Pékin également. Et ainsi avec ces trois hôpitaux nous aurons l'équivalent de tous les patients opérés d'un glaucome en France. N'est-ce pas incroyable ?

Allez-vous ouvrir une antenne sur place ?

Nous allons créer une petite filiale à Shanghai qui sera dirigée par une jeune Chinoise que je connais. Elle gérera la démarche clinique. De plus, en étant présents sur place, nous bénéficierons d'un accès facilité à des sous-traitants industriels locaux. Nous nous approvisionnons déjà, partiellement, auprès de fournisseurs asiatiques et chinois, entre autres, pour les pièces dont nous avons besoin pour nos produits que nous assemblons dans notre société à Rillieux-la-Pape. C'est précisément sur les achats que nous pouvons réaliser le plus d'économies.

Avez-vous renoncé au marché américain ?

Nous avons décidé de nous focaliser sur la Chine, car une société de notre taille ne peut pas avancer sur deux dossiers de cette envergure à la fois. S'ouvrir les portes des États-Unis prend du temps. Obtenir l'homologation de la FDA est une première victoire mais ensuite, l'acte doit être remboursé pour pouvoir vendre.Tout cela nous l'avons regardé de près.

Dietrich Wolf

Combien avez-vous vendu d'appareils sur  le marché français ? Et dans le reste de l'Europe ?

Notre dispositif EyeOP1 a obtenu le marquage CE en 2010. Il a été utilisé chez plus de 2000 patients. Il est remboursé en France où il est installé dans une bonne vingtaine de centres et, en particulier, dans le service du Professeur Philippe Denis à l'hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon. Dans le reste de l'Europe, nous démarrons la commercialisation en Suisse, en Belgique, Italie, Espagne où nous avons effectué les premiers tests avec des centres de référence.

La première tranche de 10 millions d'euros apportés par Everpine servira, pour une bonne part, à recruter une équipe de ventes d'une dizaine de personnes, d'ici à la fin de l'année. Elle sera composée de commerciaux ayant une certaine expérience dans le médical et ils s'appuieront sur des spécialistes d'applications cliniques. Ce plan d'embauches ambitieux représente une augmentation de nos effectifs de 40 %. Nous sommes 25, la moitié en production, technologie et R&D, l'autre moitié dans le domaine clinique, des affaires réglementaires et autres.

Votre dispositif a été conçu au départ pour les glaucomes les plus réfractaires. Vous vouliez étendre son utilisation aux formes moins avancées et ainsi élargir les indications. Où en êtes-vous ?

Nous avons développé une nouvelle génération de sonde thérapeutique à usage unique présentée au congrès de la société française d'ophtalmologie en 2015. L'optimisation de son ergonomie et de son efficacité aura précisément un impact sur les indications.

Initialement nous avions ciblé les malades les plus atteints, ce qui correspond à une approche typique pour une société du domaine médical proposant une technologie de rupture. Depuis l'an dernier nous avons commencé à aborder le marché des patients dont les cas sont moins graves et qui n'ont pas jamais été opérés. Les résultats ont fait l'objet d'une publication dans une revue scientifique.

Eye tech care produit

Ne vous heurtez-vous pas à des réticences de la part des chirurgiens ?

Notre technique bouleverse les standards établis. Notre but est de travailler avec les pionniers. Et, nous avons une étroite collaboration avec les médecins de l'hôpital de la Croix-Rousse.

Fabrice Romano, un des cofondateurs de EyeTechCare qui a quitté en février 2014 la direction opérationnelle pour d'autres aventures professionnelles, envisageait de s'intéresser au marché vétérinaire, car les animaux peuvent également être atteints de glaucome. Avez vous poursuivi dans cette voie ?

Fabrice Romano avait débuté des essais. J'ai pris la décision de ne pas les poursuivre. Le marché de l'animal est plus petit car il n'y a que quelques vétérinaires spécialisés aujourd'hui. De plus, adapter le dispositif aurait pris du temps. Je ne voulais pas prendre le risque de détourner l'équipe de notre objectif qui est de traiter l'homme et de valoriser notre avance de deux ou trois années sur les autres acteurs spécialisés dans les thérapies par ultrasons focalisés. Mais aucun d'eux n'est encore présent en ophtalmologie.

Une introduction en Bourse, est-elle envisageable à un moment donné ?

La question est celle du bon moment. Et dans quel but ? Aujourd'hui ce n'est pas d'actualité. Nos investisseurs nous soutiennent et ne manifestent pas l'intention de sortir.

Dietrich Wolf

Jusqu'à quand les 20 millions d'euros de cash injectés par Everpine vous donnent les moyens de faire face à vos dépenses ? Quel a été votre chiffre d'affaires en 2015 ?

Cela dépendra des délais d'homologation en Chine et de la commercialisation en Europe. Mais pour un fonds chinois 25 millions d'euros, c'est un petit ticket. Et ils sont plutôt dans des registres de 50 millions, minimum. Pour ce qui est des comptes de l'an dernier, nous sommes en train de les clôturer. En 2014, nous étions à 650 000 euros de chiffre d'affaires.

* Le glaucome est une maladie de l'œil provoquant une diminution irrémédiable du champ de vision. Son taux de prévalence serait de 4 % au delà de 40 ans.

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