On a marché sur la planète Mars

D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Sommes-nous les seuls êtres "intelligents" à peupler la galaxie ? Après des siècles de questionnement, la confirmation de l’existence d’une forme de vie sur Mars ou le relevé de traces de vie sur Titan, l’un des satellites de Saturne, relancent la machine à théories, jusqu’à rendre concevable, en 2050, la présence de quelques Terriens sur la planète rouge. Une conquête qui permettrait à ceux qui restent, sinon de préserver, du moins de prolonger, le capital terrestre. En contrepartie, ce nouveau champ des possibles demanderait à l’humanité une véritable remise en cause. Pour le meilleur comme pour le pire.

Décembre 2050. Après six mois de voyage, suivi au quotidien par près de dix milliards de Terriens, une poignée d'hommes et de femmes s'est posée sur Mars. L'amerrissage s'est réalisé sans trop d'encombre, grâce aux renseignements précis récoltés par des robots envoyés par plusieurs missions précédentes. À commencer par celle de "Mars 2020", qui a validé des zones sécurisées pré-identifiées par une équipe-projet en 2017, avec laquelle collabore la géologue Cathy Quantin-Nataf, rattachée au Centre de recherche astrophysique de Lyon (CRAL).

L'équipage est bien entraîné, il est capable de communiquer avec la terre par système de messages interposés − mais différés d'au moins une vingtaine de minutes −, il dispose de tout un arsenal technique avec des batteries de grandes capacités et il est même apte à extraire de l'eau de l'atmosphère. Une technique, améliorée depuis, qui a notamment fait ses preuves lors d'une mission de reconstitution de la vie sur mars, financée par la Nasa, organisée en 2016-2017 par l'université d'Hawaï, à laquelle a participé l'astrobiologiste français Cyprien Verseux.

L'Homme foulera-t-il mars avant 2050 ?

Bien sûr, la conquête spatiale ne se réduit pas à fouler le sol de Mars ou aux annonces spectaculaires du milliardaire américain Elon Musk. Un large volet est consacré à l'astronomie, à la découverte de nouvelles planètes, à l'étude des étoiles, aux satellites et aux télécommunications. Mais il faut bien un objectif ambitieux pour faire rêver le monde et débloquer les ressources nécessaires pour faire avancer la recherche de l'ensemble du secteur.

La technologie portée par le spatial

Longtemps, les hommes se sont contentés d'observer les étoiles, laissant aux écrivains de science-fiction le soin de leur inventer, sur la base de jugements scientifiques souvent truffés d'erreurs, un futur dans l'espace.

"Observer les étoiles, comprendre l'univers, c'est satisfaire la curiosité humaine. On cherche avant tout à répondre aux questions que l'on se pose sur l'origine du monde. Ébranlé par Galilée, Kepler et Copernic, puis plus tard par la théorie de la relativité générale et par celle de la gravité, l'homme a progressivement reconsidéré sa position, déplaçant au fur et à mesure le centre de l'univers", rappelle Emmanuel Pécontal, astronome, historien des sciences au CRAL, laboratoire renommé pour ses recherches (physique des plasmas denses appliquée aux étoiles de faible masse, naines brunes et exoplanètes, etc.).

Mais le contexte géopolitique des années 1950 et la course aux étoiles que se livrent les États-Unis et l'URSS pour devenir les premiers à aller sur la lune entraînent une première rupture profonde relative à la place de l'homme dans l'univers. "Auparavant, les hommes vivaient confinés dans l'enceinte d'une planète et de son atmosphère. Après, ils peuvent sérieusement envisager qu'un jour il sera possible de s'installer durablement ailleurs dans le cosmos", écrivent à ce propos Jean-François Clervoy et Frank Lehot dans leur livre, Histoire de la conquête spatiale (éd. De Boeck).

appolo

Photo de la mission apollo 11

Un changement d'espace-temps qui a conduit à valoriser les filières des sciences et des techniques. "On ne compte plus le nombre d'étudiants qui se sont inscrits dans ces matières dans les universités américaines à cette époque", confirme Francis Pollet, directeur de l'école d'ingénieurs spécialistes de l'aéronautique et du spatial IPSA. Mais surtout, il a favorisé l'émergence de nouvelles technologies, devenues, en 2017, objets de vie quotidienne.

"Grâce au programme Apollo, on a inventé tous les systèmes d'information, l'ordinateur portable, le CD-Rom et le téléphone cellulaire », poursuit Francis Pollet.

Les hommes ont aussi élaboré la télémédecine - le premier électrocardiogramme « à distance » a été mené sur un cosmonaute positionné dans une station spatiale - ou l'IRM. L'espace, grand-mère de la Silicon Valley et donc des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), façonne notre société contemporaine. Il reste à l'origine des nombreuses disruptions actuelles dont nous ne connaissons pas encore les impacts définitifs. "Le spatial a déjà eu une influence sociétale considérable. La convergence du GPS et du Smartphone a donné naissance à Uber, et par extension, à l'ubérisation. Si le phénomène s'est développé si vite, c'est parce qu'il utilise des technologies issues du spatial, capables de marcher facilement partout dans le monde", analyse Philippe Lattes, délégué aux affaires spatiales, à la recherche et aux projets européens du pôle de compétitivité Aerospace Valley.

De l'avènement du mieux-être sur terre

Désormais, le spatial est entré dans une nouvelle ère. Et préfigure déjà nos vies de 2050. D'autant que les perspectives colossales de développement attirent − et c'est un fait inédit − les fonds, les entreprises privées et les startups innovantes. Selon le New Space Global, un cabinet conseil qui analyse pour les investisseurs le secteur de l'espace, en quelques années, le secteur spatial dans le monde est passé de 100 à 1 000 entreprises, dont 70 % sont installées aux États-Unis.

"Sous l'influence des acteurs privés, nous assistons à une approche par segment de marché. Cela va certainement reconfigurer le secteur, qui, depuis cinq ans, voit arriver de plus en plus de nouveaux acteurs. Parmi eux, de nombreux échecs sont à prévoir, mais certains vont percer, sans aucun doute", poursuit Philippe Lattes.

Et ouvrir encore un boulevard à l'innovation spatiale, dont l'effet levier est important : selon les estimations du Centre national d'études spatiales (Cnes), un euro investi permet vingt euros de retombées pour l'économie, la recherche ou la société. En 2050, grâce à l'espace, une observation plus fine de la terre sera possible, ainsi que le suivi des évolutions des terrains grâce aux satellites et à une cartographie plus juste. On pourra mieux comprendre, et donc exploiter, l'érosion des terres arables et évaluer la taille des forêts. Nous serons capable de mener une vraie politique de l'environnement grâce à une meilleure compréhension du climat. La médecine aura accompli des avancées spectaculaires en continuant à étudier le comportement des os dans l'atmosphère. Au quotidien, il se pourrait que nous nous déplacions en avion électrique sur certaines distances. Grâce à une technologie capable d'extraire de l'eau du sol ou de l'atmosphère, nous pourrons cultiver des terres qui ne le sont pas. Le véhicule autonome, individuel ou collectif sera la norme « à partir du moment où nous aurons résolu la problématique des batteries et du stockage », estime Francis Pollet. Sans compter l'avènement de l'intelligence artificielle, de l'ordinateur quantique, et l'arrivée de nouveaux systèmes fréquentiels, peut-être ioniques. Mais la vraie révolution demeure le changement de paradigme.

Chacun son satellite

Le spatial "aura la capacité d'imaginer aussi des services aux citoyens de la terre, au plus près de leurs besoins pour une vraie amélioration de leur vie quotidienne", avance Gilles Rabin, directeur de l'innovation, des applications et de la science du Cnes.

nanosatellite

Un nanosatellite

Son objectif : construire une série de partenariats, comme celui récemment noué avec LyonBiopôle, afin d'être au cœur de toutes les communautés, au-delà de celle du spatial, pour inventer des services. "Le coût du kilogramme en orbite ne cesse de baisser. Nous assistons à un renversement de la logique : chacun pourra posséder son propre nanosatellite récoltant ses propres données. Par exemple, un agriculteur pourra, sur une très grande exploitation, repérer les vaches en période de vêlage. Comme il s'agit du moment où elles produisent le plus de lait, elles pourront être mieux exploitées", explique Philippe Lattes. L'agriculture mais aussi de nouveaux services pourraient bénéficier de la démocratisation de l'accès aux satellites.

À l'image de Snap Planet, une application mobile développée par une start-up toulousaine qui permet de prendre des photos de la Terre en piochant dans les images fournies par les satellites.

Face à cette industrialisation de l'espace, "il faudra rester vigilant, tempère Francis Pollet, et ne pas oublier l'humain dans toute cette technologie fondée sur une accumulation considérable des données".

Philippe Lattes va encore plus loin : "Le spatial relève de la surveillance permanente de ce qui se passe sur la terre. Cela entraîne un rétrécissement géographique du monde. Le risque : que l'on donne naissance à une civilisation sous surveillance permanente de tout le monde par tout le monde."

Objectif Mars

En 2024, le Cnes va rapporter, dans le cadre de la mission Martian Moons Exploration, des échantillons de Phobos, satellite de Mars. Une première mondiale.

"Compte tenu de l'avancée rapide des travaux d'exploration vers Mars, on peut envisager qu'en 2050, nous serons la première espèce colonisatrice de la planète Mars avec une centaine d'hommes sur place", affirme Gilles Rabin.

D'abord, parce que la planète, banlieue de la terre, est accessible en seulement six à huit mois de voyage - à titre de comparaison, il nous faut actuellement dix ans pour rejoindre Saturne. Autre point en faveur de Mars : "Elle réunit toutes les conditions d'habitat − l'eau est présente −, bien qu'on ne sache pas si elle est habitée par une forme de vie quelconque. Et puis la Nasa prévoit le retour d'objets à l'horizon 2028, un signe encourageant pour faire revenir les hommes", rappelle Cathy Quantin-Nataf.

Mais les astronomes voient encore plus loin. Dans l'optique de leur super grand télescope, apparaissent de nouvelles étoiles et des projets encore plus fous qui pourraient, bien après 2050, nous faire sortir du périmètre du système solaire. Et les Terriens, dans tout cela ? "L'humanité a envie, mais à quel prix ? s'interroge Emmanuel Pécontal. Douze astronautes sur la Lune ont coûté 180 milliards de dollars d'aujourd'hui pour quelques kilogrammes de pierre. Serions-nous prêts à accepter le risque de la mort ?"

mars

Mars vue de l'espace.

Pour Cyprien Verseux, qui raconte son expérience dans le livre Vivre sur mars (éd. Michel Lafon), "l'homme est psychologiquement prêt, c'est surmontable. Notre équipe a réussi à maintenir ses niveaux de performance et ses capacités de recherche. Nos rapports sociaux étaient plus difficiles, et notre quotidien assez monotone, sans accès à l'air libre". En conséquence, l'individu sera-t-il prêt à abandonner son quotidien fait de travail, de loisirs, de rencontres, de déplacement, d'amour, de tout ce qui constitue la vie humaine ?

Si l'avenir est sur Mars, l'avenir de l'homme semble pour le moment bien être sur la planète Terre.

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