[TUP 2015] "La société de consommation a légitimé le luxe"

Les grandes marques européennes du luxe se démocratisent et trouvent leurs leviers de croissance à l'international. Cependant, l'expression "industries du luxe" ne torpille-t-elle pas la notion même de luxe ? À l'heure de la mondialisation, cette notion de fait a considérablement changé. Telle était la thématique de la dernière conférence du cycle "Tout un Programme" 2015, proposée par Acteurs de l'économie, en partenariat avec la Tribune, TLM et 8 Mont-Blanc, et programmée le 9 décembre, à l'Inseec Lyon.

Les grandes marques européennes du luxe, essentiellement françaises et italiennes, se démocratisent et partent à l'assaut du monde à coup de campagnes publicitaires colossales. On peut s'offrir un porte-clef Hermès, un parfum Dior et avoir la certitude de s'être acheté un petit "morceau" de luxe. Mais ne perdent-elles pas leur âme dans ce grand élan mondialisé et marketé ? La question était soulevée lors de la conférence de clôture du cycle "Tout un programme" 2015, le 9 décembre, à l'Inseec, avec pour invités Michel Troisgros Jean-Noël Kapferer et Gilles Lipovetsky, et animée par Claude Costechareyre.

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Gilles Lipovetsky, philosophe (crédit : Laurent Cerino/ADE)

"Nous vivons aujourd'hui une grande mutation culturelle. Historiquement, le luxe était rattaché à des classes sociales. À la Cour du roi, par exemple, il fallait obligatoirement mener grand train, alors que dans les classes plus modestes on pensait "le luxe, n'est pas pour moi". Ces contraintes collectives ont disparu ; on observe une désinhibition des individus par rapport au luxe. On le consomme de manière occasionnelle, pour se faire plaisir, pour exhiber des signes de richesse, montrer son bon goût. La société de consommation a légitimé le luxe", décrit le philosophe Gilles Lipovetsky, philosophe.

Tout de suite ce qu'il y a de mieux

Jean-Noël Kapferer, spécialiste des marques à l'Inseec, groupe qui s'appuie sur plusieurs écoles en France - et dont le tout nouveau campus lyonnais accueillait cette conférence - décrit lui aussi cette mutation que connaît le luxe.

"L'Asie constitue une région du monde très importante pour la croissance des industries du luxe. En Chine, des classes moyennes veulent tout de suite ce qu'il y a de mieux. Elles ont de l'argent mais sont acculturées en terme de goût. Donc pour le moment elles se réfèrent à notre modèle occidental qui a une vision du luxe aristocratique : intensité et qualité du travail, prix élevés... Mais ce modèle ne va pas perdurer, les marques européennes vont être challengées par d'autres. Pour les Américains, par exemple, Ralph Lauren est une marque de luxe."

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Jean-Noël Kapferer, spécialiste des marques à l'Inseec (crédit : Laurent Cerino/ADE)

Et le spécialiste insiste sur ces consommateurs asiatiques qui n'ont certes pas une approche individuelle du luxe :

"C'est un marqueur social. 40 % des secrétaires japonaises possèdent un sac de grande marque, elles se l'offrent quel que soit le prix... même si elles vivent dans un appartement déclassé."

Un bijou de la gastronomie

Dans le prisme du luxe, se trouve un "bijou" de la gastronomie, le restaurant de Michel Troisgros, à Roanne. Troisième d'une génération de cuisiniers doués, il rappelle que "l'escalope de saumon à l'oseille", recette imaginée par Jean et Pierre Troisgros était devenue un marqueur de la Maison Troisgros (3 étoiles au Michelin), "à l'instar d'un Chanel N°5". Michel Troisgros, guidé par les attentes de ses clients, a repris le flambeau avec une vision très personnelle, frôlant la création artistique, de son métier de chef.

"Je vise la pureté, la précision, l'excellence des accords. Je veux procurer à mes clients des frissons, de l'étonnement, des émotions uniques. Ils doivent être persuadés que ce qu'ils ont dans leur assiette ne ressemble qu'à lui ; et même si nous restons dans l'éphémère, je sais que ces émotions, ce ressenti deviendront des souvenirs pour longtemps."

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Michel Troisgros, chef cuisinier (à g.), et Gilles Lipovetsky  (crédit : Laurent Cerino/ADE)

La Maison Troisgros est une "marque" de luxe mais son capitaine précise :

"Je ne veux pas inonder le monde avec une quelconque marque Troisgros. Je préfère me concentrer sur ma création."

Cette approche du luxe, confidentielle, de toute évidence convainc si on en juge par les taux de remplissage du restaurant roannais. Il y a bien plusieurs luxes aujourd'hui, comme le souligne Gilles Lipovetsky. Une notion tellement difficile à définir. On pourrait parler de création, de perfection, d'honnêteté, de volonté de se dépasser, de prix élevés, de qualité du travail, de niveau artisanal, d'utilité de l'inutile etc. Les Italiens eux, n'emploient jamais le mot "luxe", ils parlent de l'"excellence italienne", internationalement reconnue. Une affaire de culture.

Revivez les meilleurs moments de la conférence en vidéo :

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