Politique : maintenant, citoyens, c'est à vous de jouer !

La troisième des huit conférences de Tout un programme 2015, organisé par Acteurs de l'économie et la Tribune, réunit ce lundi 23 novembre à EMLYON Jean-Paul Delevoye (président du CESE), l'entrepreneur René Ricol, et le sociologue Dominique Wolton. Trois regards aiguisés, trois « bêtes » de convictions appelés à débattre de la responsabilité et même du devoir citoyens d'exercer la politique. Etre et faire politique : la survie de la démocratie est à ce prix. Une semaine après les attentats de Paris mais aussi quinze jours avant le premier tour d'un scrutin régional propice à faire triompher le Front national, l'enjeu apparaît plus que jamais vital.

Faut-il des drames aussi abominables que ceux qui ont endeuillé la France il y a dix jours pour prendre conscience qu'au sein de la population française regorgent un formidable substrat politique, un impressionnant réservoir politique, au sens bien sûr de la Res publica ? Existe-t-il plus noble considération et plus vertueuse expression de la politique que le foisonnement de déclarations entendues dans les rues, lues sur les réseaux sociaux et partagées sur le lieu de travail, d'initiatives solidaires et fraternelles de toutes sortes, de manifestations courageuses exercées la tête haute pour défier la barbarie et qui ont brillé aux quatre coins de la planète ? Non, bien sûr. Et ce n'est pas nouveau. La France qui était dans les rues le 11 janvier, celle qui communiait pour défendre la liberté de penser, de dire, d'écrire, de dessiner, celle qui protégeait le ciment de la République et les principes inexpugnables d'une laïcité qui est l'arbitre souverain et sanctuarisé du « vivre-ensemble », était elle aussi et peut-être même davantage encore dans l'engagement politique.

Le succès du FN révélateur de la débâcle politique

Ces deux expressions spectaculaires sont la démonstration que les Français, pour ne parler que d'eux, ne sont pas, loin de là, indifférents à la « chose politique », cette « chose politique » qu'on peut résumer aux conditions de faire commun et de faire ensemble. Ils sont simplement en rejet du « support politique » de ladite « chose politique ». Le désenchantement des citoyens pour la politique et pour les politiques est un truisme, et que « la » formation politique dont l'humus idéologique célèbre la ségrégation, la xénophobie, le repli sur soi, le populisme, la stigmatisation protéiformes soit celle qui rassemble le plus grand nombre de jeunes électeurs, en est l'illustration. Le succès électoral du Front national, devenu le réceptacle des désespérances, des fractures, des désillusions de toutes sortes, est en réalité le révélateur de la débâcle de la classe politique dans son ensemble.

Empoisonnement multiple

Une débâcle dont chacun connait les ressorts : consanguinité des élites, professionnalisation extrême des mandats, isolement des réalités, pertes des repères, sentiment d'impunité, corruption, manque de courage, abâtardissement idéologique, décrépitude des idéaux, vassalisation de l'intérêt général à l'intérêt personnel, et bien sûr transfert vers l'indicible de l'exercice du pouvoir. Et ce n'est pas la dictature des médias et réseaux sociaux instantanés, sensationnalistes, tentaculaires qui amortit le choc, bien au contraire ; l'un des devoirs particuliers conférés aux professionnels de la politique : exercer la responsabilité avec distance, recul, sens commun a volé en éclats sous le joug de la peoplisation, de l'exhibitionnisme, du narcissisme, et de l'immédiateté qui les a contaminés. L'empoisonnement est multiple.

Démocratie tuberculeuse

Ces deniers jours furent le théâtre, une nouvelle fois, du discrédit politique : même l'absolue nécessité d'unité nationale n'a pas résisté à la tentation de la surenchère et de l'instrumentalisation, parfois d'une absolue indécence comme ce fut le cas mardi 17 novembre dans l'enceinte de l'Assemblée nationale. Pouvait-il y avoir plus indigne que s'étriper publiquement, en découdre ostensiblement, et réclamer une commission d'enquête parlementaire alors même qu'aucune des 130 victimes n'avait encore de sépulture ? Unité nationale ne signifie pas cécité sur l'origine, les responsabilités et les dysfonctionnements du drame, mais simplement hiérarchie morale des comportements. Pour les professionnels de la politique, l'enjeu des Régionales était simplement plus essentiel que ce qui était essentiel aux yeux des Français et vis-à-vis de la cible terroriste. In fine, c'est la démocratie qui est tuberculeuse, et avec elle les possibilités citoyennes d'accomplir leur « envie politique » qui toussent jusqu'à l'étouffement.

Une réalité plus contrastée

La réalité du tableau est bien sûr plus nuancée. Nombre d'élus font au quotidien - et parfois de manière quasi bénévole - œuvre politique avec une abnégation, un altruisme et un sens commun remarquables. Et ils sont d'ailleurs les témoins que les administrés ont leur propre part de responsabilité dans la fracture démocratique, une responsabilité symptomatique de l'état même de la société et des comportements d'ensemble. Citons l'incivisme, l'égoïsme, l'individualisme, les dogmes de la moralisation, de l'uniformisation, du conformisme, l'aggravation des précarités et des inégalités, la peur des autres et des différences, le rejet des institutions et en premier lieu celle de l'Union européenne, mais plus encore ce qui est consubstantiel à la société marchande et consumériste : les citoyens sont davantage consommateurs que producteurs et qu'acteurs de la politique.

Beaucoup à attendre de la jeunesse

Cette mise en perspective des responsabilités réciproques est l'illustration que le modèle démocratique, c'est-à-dire le support public et institutionnel à même de favoriser l'expression citoyenne de l'engagement politique, est sommé d'évoluer, de s'adapter aux réalités d'un monde bouleversé. Et à ce titre, beaucoup est à attendre de la jeunesse. Il est absolument faux de considérer que cette jeunesse, qu'elle soit très ou peu éduquée, est celle que nombre de médias réduisent aux comportements zappeurs, égocentrés, dépolitisés, déracinés, matérialistes. Cette jeunesse s'implique dans la Res publica, elle veut faire politique mais autrement, c'est-à-dire dans un dessein nouveau et avec des moyens nouveaux.

Faire le service civique, c'est « faire politique »

N'est-ce pas faire politique que s'investir dans les associations, créer son entreprise, pratiquer toutes les formes inédites de partage et toutes les déclinaisons du « co » - working, voiturage, hébergement, financement, etc. ? Les 100 000 jeunes qui depuis 2010 et dans une dynamique de croissance exponentielle ont effectué leur service civique, ne font-ils pas politique ? Ceux qui arpentent la planète pendant un ou deux ans et, riches d'une expérience humaine, de découvertes sociales, culturelles, identitaires qui les ont interrogés au plus profond de leur intimité, reviennent bâtir une existence tournée différemment vers les autres, ne font-ils pas politique ? La politique des petits pas, des petits gestes, des petits actes, constitue le socle même de la politique avec un P majuscule. Jeunes et moins jeunes, une grande partie des citoyens travaille bel et bien à faire société et à faire politique. A sa manière. Ne reste plus qu'à lui donner les moyens d'accomplir son voeu.

Réhabiliter la démocratie représentative

Les moyens, c'est « inventer » un modèle qui fasse sens et utilité pour les intelligences individuelles alors convaincues de s'agréger dans une logique d'intelligence collective. Mais c'est aussi inventer une démocratie qui cesse de décrédibiliser et même de ruiner les corps intermédiaires, ces espaces de concertation et de délibération bien plus fructueux pour l'expression citoyenne que les promesses ubuesques, anarchiques et inopérantes, de démocratie participative prônées par Ségolène Royal en 2007. C'est créer les conditions et même l'exigence pour que la légitimité de la démocratie représentative soit réhabilitée, et pour cela avoir le courage de refondre totalement le statut d'élu et les conditions d'accès à la représentation politique.

L'entreprise, incarnation politique

C'est, également, considérer l'entreprise dans l'exhaustivité de ses attributs, elle est en effet un terrain d'incarnation et d'expression politiques, elle porte une responsabilité politique dans l'écosystème, elle a pour devoir de favoriser l'épanouissement, l'autonomie, la conscience, les valeurs, c'est-à-dire le sens de la responsabilité et de la citoyenneté de ses salariés. C'est associer la mission de l'éducation, la mission de l'enseignement, la mission de la culture, finalement la mission de l'Etat à une mission politique au sens où ces terrains deviennent ceux de l'engagement et de l'expression individuels de la politique. La liste des leviers est bien trop longue, mais tous convergent vers une même exigence et un même dessein : cette exigence est celle de l'exemplarité, ce dessein est celui de faire lien, de faire réciprocité, de faire commun. L'agora au cœur d'un dispositif démocratique organisé : voilà un beau projet politique.

Faire politique, c'est faire société

Pour en débattre ce 23 novembre à EMLYON, un président du CESE (Conseil économique, social et environnementale), Jean-Paul Delevoye, particulièrement sensible aux bouleversements sociétaux et engagé dans la revitalisation démocratique ; un chef d'entreprise, René Ricol, qui a exercé les plus hautes responsabilités au sein de sa profession et au profit du tissu socio-économique, notamment lorsqu'il fut Médiateur du crédit et commissaire général à l'investissement, enfin un sociologue, Dominique Wolton, dont les travaux sur le fonctionnement de l'information et de la communication et l'auscultation des rouages de la démocratie offrent une lecture singulière de la « chose politique ». « Chose politique » dont tous trois ont en commun d'être des serviteurs, convaincus que faire politique c'est faire société, et faire société c'est faire humanité.

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Commentaire 1
à écrit le 23/11/2015 à 20:12
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" Réhabiliter la démocratie représentative "....j'ai souri. Vous êtes certain que cet article a été écrit en 2015 et non pas en 1985 ?

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