« Patrons, osez travailler moins »

Seul sur la scène de l'Université Jean Moulin Lyon 3, format inédit dans le cycle de conférences « Tout un programme », à l'invitation d'Acteurs de l'Economie-La Tribune, Christian Streiff a transmis, le 3 décembre, sa leçon de vie à un auditoire conquis. Patron miraculé, il invite ses pairs à travailler différemment, tant pour eux que pour la prospérité de leur entreprise.

Ancien PDG d'Airbus et de PSA, aujourd'hui vice-président du Conseil de surveillance de Safran et administrateur du Crédit Agricole, Christian Streiff dialogue avec aisance avec le public, sous la conduite d'Alain Asquin, 1er vice-président de l'Université Lyon 3, directeur de l'innovation et du développement. S'il cherche encore parfois ses mots ou demande à ce que son interlocuteur lui répète une question qu'il a déjà oubliée, rien d'autre n'indique qu'il est un véritable miraculé.

Le déni

Pourtant, à 54 ans, alors Pdg de PSA, un AVC, vient brouiller les cartes d'une carrière au sommet, puis un second. « Je pense même que j'en ai eu un troisième mais les médecins ne sont pas d'accord avec mon diagnostic » glisse-t-il dans un sourire. Dans un premier temps, l'homme est dans le déni. Il développe une anosognosie - absence de conscience de son handicap. Malgré son état, il n'a qu'une obsession : reprendre son poste. Il travaille d'arrache-pied pour tout réapprendre. Et trois mois après, réintègre sa place chez le constructeur automobile. « Je prétendais que tout allait bien ; en fait je simulais. Je voyais encore mon orthophoniste deux heures pas jour. J'avais besoin de dormir entre 12 et 13 heures. Pour tenir les rênes, je limitais mes contacts à une dizaine de collaborateurs et mes déplacements », se souvient-il.

TUP 2014 Christian Streiff

L'électrochoc

Et puis un dimanche après-midi, le couperet tombe. Thierry Peugeot, président du conseil de Surveillance de PSA, est chargé d'appliquer la sentence. « C'est un départ assez violent mais en réalité, je m'y attendais. Petit à petit, je me rendais compte de ce que j'étais réellement capable de faire », répond-il à un auditeur qui lui demande s'il en veut à son président de l'époque. « Comme j'ai eu la possibilité de réfléchir sur ma vie, j'ai pu régler les questions en suspens. Aujourd'hui, nous avons de bonnes relations : j'ai eu le courage de lui parler et lui celui de m'affronter, c'est positif ». Aurait-il fait la même chose s'il avait été à cette place ? « J'espère n'avoir jamais fait cela à l'un de mes collaborateurs » esquive Christian Streiff.

Patron surinvestit

Il l'avoue, il était un patron « 100% dans l'entreprise, toujours dans la responsabilité, concentré sur le job, le reste loin à côté ». Un père avec qui il était plus simple de prendre rendez-vous pour discuter, un homme, à la capacité d'écoute relativement faible, qui n'avait - et ne prenait - pas le temps : de déjeuner, d'un café, d'échanger. « La liberté du grand patron est illusoire. C'est un engagement total, y compris physique » poursuit celui qui désormais «a retrouvé une liberté inespérée». Un sur-engagement qu'il estime mauvais pour la santé, mais surtout pour l'entreprise : « patrons, osez travailler moins, exhorte-t-il, car si l'entreprise ne marche pas, c'est que vous n'êtes tout simplement pas bons».

TUP 2014 Christian Streiff

Une nouvelle vie

Désormais, il est différent. Il a conscience du bonheur de vivre, répond aux sollicitations, connaît les priorités des contacts, « c'était vraiment ridicule quand j'y repense » s'amuse-t-il, ne veut plus perdre sa liberté qu'il use à sa guise comme lorsqu'il a traversé la France du Nord au Sud pendant 2 mois : « c'était une façon d'entériner le passé, de percevoir et de renommer toutes les choses de la nature et de se dire que, oui, tout va bien ».  L'homme revient à ses fondamentaux : « j'ai retrouvé mes moteurs, ceux qui m'animaient quand j'avais vingt ans. Mon métier les avait repoussés, ils ont repris leur place. C'est une chance de retrouver ce que j'avais perdu » précise-t-il

Prise de conscience

Mais surtout, il témoigne. Dans un livre, conçu comme « un message d'espoir pour ceux qui ont eu un AVC », persuadé que l'on peut repousser ses limites. Au quotidien, il milite pour « un espace philosophique du désordre » qui consiste en plus d'écoute, de temps et à une multiplication des échanges.

Sait-il comment s'y prendre pour faire changer les choses dans les entreprises ? A-t-il pour autant la solution ? lui demande pour terminer un étudiant. « Honnêtement, je n'ai pas de vraies réponses. Je ne saurais dire si, dans ma position de l'époque, j'aurai pris conscience de ce nécessaire équilibre entre échange et investissement si on était venu me parler comme je le fais ce soir. Je crois en l'effet boule de neige. Et suis persuadé qu'en multipliant les contacts entre les hommes, il en ressort toujours quelque chose » conclut-il humblement.

TUP 2014 Christian Streiff

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Commentaire 1
à écrit le 09/12/2014 à 20:27
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Sur qu'avec moyens il peut tenir ce discours, je doute qu'un paton de PME puisse faire de même.

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