Jean Viard : Les jeunes, "ces athlètes à qui l’on confisque les JO" [UEF2020]

[Les Grands Entretiens 1/5] Le sociologue et prospectiviste Jean Viard, directeur de recherche associé au Cevipof- CNRS, dresse, dans son dernier livre esquisse d’une nouvelle génération 2020, née des limbes de la crise du Covid-19. Il livrera sa propre vision de la jeunesse et des enjeux à venir, au cours d’une table-ronde "Jeunesse : où es-tu ? M’entends-tu ?" du Forum Une Epoque Formidable (UEF2020), organisé par La Tribune, les 12 et 13 octobre prochains, au théâtre des Célestins à Lyon.
Pour le sociologue Jean Viard, il est important de dire que c'est la génération 2020 qui a gagné la guerre contre le virus, et de leur faire porter cette victoire.
Pour le sociologue Jean Viard, "il est important de dire que c'est la génération 2020 qui a gagné la guerre contre le virus, et de leur faire porter cette victoire". (Crédits : DR)

Vous avez publié plusieurs essais sur la jeunesse, tels que « Un nouvel âge jeune ? Devenir adulte en société mobile » (L'aube et la fondation Jean Jaurès), ainsi que votre dernier ouvrage, « La page blanche » (l'Aube), écrit en plein confinement, et qui traite également de l'essor d'une nouvelle génération 2020 post-crise. Quel effet a justement eu la crise du Covid-19 sur l'avenir de la jeunesse, d'après vous ?

Jean Viard : "Ce qui m'intéressait effectivement durant cette crise était de voir comment elle a pu accentuer les écarts entre les générations. Ces derniers étaient déjà importants, comme on l'avait déjà constaté avec le mouvement MeToo, Greta Thunberg, etc..., mais l'on constate désormais une forme de radicalité qui augmente, car il n'existe plus d'avenir commun pour savoir où l'on va.

On est passé de la notion de société au sociétal, et au lieu de définir un projet de société qui intègre des valeurs, chacun défend son propre groupe ethnico-culturel. Les filles défendent les filles, les marseillais défendent les marseillais, etc. Or, une société ne se réduit pas à cela. On fait face a un morcellement profond de la société car nous n'avons plus de modèle..."

La pandémie de Covid-19 a-t-elle accentué ce phénomène ?

"La pandémie actuelle augmente la question de la séparation, ce qui fait que le mot séparatisme, qu'utilise désormais le président de la république, prend un tout autre sens. La crise augmente l'écart entre les générations. Il ne faut pas oublier que le taux de port du masque est le même au sein de la population jeune ou âgée. C'est pourquoi j'ai dit la semaine dernière que les jeunes ont été géniaux : car être jeune, c'est être ouvert à la rencontre de l'autre et à la découverte. Or, si cette expérience ne se fait pas  aujourd'hui pour eux en raison du contexte, elle ne se fera pas plus tard.

C'est un peu comme un sportif de haut niveau à qui l'on supprimerait les Jeux Olympiques... On passe notre temps à dire aux jeunes de faire attention, de ne pas faire attraper le virus à leurs grands-parents. Le mode de vie des jeunes est lui-même mis en difficulté à travers cette pandémie : on leur parle uniquement de vacances apprenantes, de donner 4.000 euros à un patron qui voudrait bien les embaucher, etc. On se trouve aujourd'hui dans une période conservatrice, où l'on enregistre une montée des attitudes réactionnaires un peu partout."

Vous n'hésitez pas à comparer l'époque actuelle, à celle que l'on a connue en mai 1968 : pourquoi ?

"J'ai l'impression qu'il s'agit du même écart que dans les années 68, où l'on parle de vacances apprenantes, d'un risque pour les personnes âgées... Or, encore une fois, être jeune c'est découvrir : j'ai proposé, lors d'une conférence, que l'on choisisse plutôt de donner 4.000 euros à tout jeune qui a un projet, qu'il s'agisse de passer un mois au Louvre ou de partir faire des vacances à pied. L'idée est avant tout d'expérimenter une forme de rupture.

Lorsqu'un étudiant en fac d'économie m'a demandé un conseil pour son avenir, je lui ai répondu que la meilleure chose que je pourrais lui conseiller serait de faire un an de CAP en plomberie... Je le pense profondément, car on rentre dans un monde que l'on ne connaît pas, et où les jeunes ont besoin d'acquérir des savoirs non articulés et de savoir se servir de leurs mains".

On a beaucoup parlé du "monde d'après", que peut-on dire de ce qui s'en vient pour la jeunesse. Existe-t-il des signaux positifs ?

"Il existe, face à nous, un tas de questions compliquées, avec une nouvelle idée de la nature, de ce qu'est l'écologie, etc... Pour autant, on a aussi un certain nombre de lueurs positives, puisqu'on peut dire que l'on a quand même sauvé des dizaines de millions de vies humaines en l'espace de six mois, alors qu'on nous annonçait, au départ, plus de 100 millions de morts !

"Même si tout n'est pas encore terminé et que nous sommes encore pour l'instant incapables de chanter victoire, il est important de dire que c'est la génération 2020 qui a gagné la guerre contre le virus, et de leur faire porter cette victoire".

La construction d'un discours de gloire et de fierté est essentielle pour lutter aujourd'hui contre ce virus, et pour vaincre demain la question du réchauffement climatique. Car en faisant cela, on voit bien que l'on peut changer les choses. Or, ce discours n'est pas porté pour l'instant. C'est souvent, une fois que la guerre est terminée, que l'on construit le récit de la victoire. Ce sera aussi en quelque sorte le rôle des artistes de construire ce récit".

Vous parliez d'un manque d'horizon commun et de la nécessité de "faire société". Comment atteindre cet objectif pour la génération à venir ?

"Le problème est que tout être humain se définit d'abord comme un membre d'une communauté, qu'elle soit religieuse, dépendant d'une classe sociale, etc. Mais dans un monde moderne individualisé, plus éduqué et autonome, ces communautés ne se bâtissent plus vraiment en fonction de la classe sociale. Les écarts de revenus et la pauvreté existent toujours, mais ils peuvent survenir autant du côté d'une infirmière que d'un chauffeur de camion....

Il existe une crise d'appartenance qui fait que certaines personnes essaient, en conséquence, de s'appuyer sur des notions de nationalisme, de régionalisme, de religion, etc. Ils tentent de 'faire communauté' avec ce qu'ils ont dans leurs mains et se renferment ainsi sur eux-mêmes. La question est donc de savoir comment recréer 'un commun positif', qui peut naître d'un enjeu partagé comme la lutte contre le réchauffement climatique par exemple".

Comment la jeunesse peut-elle aider à bâtir ce nouvel horizon ?

"Sur ces sujets, les jeunes sont naturellement radicaux, poussent pour faire se faire une place, se battent pour devenir adultes, contre eux-mêmes et contre le monde. Ils constituent l'une des principales forces de transformation, source, en même temps, d'une forme de radicalité qui représente parfois également un frein.

Comme ils possèdent encore des connaissances des processus socio-économique assez faibles de par leur jeunesse, il faut savoir à la fois écouter leurs désirs, et les affronter sur leurs propositions."

Pour participer au Forum Une Epoque Formidable 2020, programme et inscriptions ici.

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