Karim Idrissi, Société Générale : "La souplesse et l'agilité issues de la crise vont nous aider à nous transformer"

A la tête d’une délégation Auvergne-Rhône-Alpes clé pour la Société Générale (2 500 salariés dont 300 au back-office, 200 au Centre de relation clients, 80 au siège régional, 200 agences), Karim Idrissi évoque pour La Tribune les adaptations et les mesures mises en œuvre pour amortir les effets de la crise sanitaire sur les activités du groupe comme sur celles de ses clients. Et esquisse des pistes de réflexions pour alimenter une nécessaire transformation, déjà largement engagée avant la crise.
Karim Idrissi, délégué général de la délégation régionale Auvergne-Rhône-Alpes de la Société Générale
Karim Idrissi, délégué général de la délégation régionale Auvergne-Rhône-Alpes de la Société Générale (Crédits : DR)

La Tribune : Au regard des différentes annonces et des nécessaires mesures de protection, comment la délégation régionale de la Société Générale a réagi à la crise ?

Karim Idrissi : Nous avons rapidement travaillé au maintien de nos activités critiques et stratégiques : assurer un service continu à nos clients particuliers, professionnels et entreprises tout en protégeant nos collaborateurs et nos clients qui doivent être physiquement accueillis.

Ce dispositif a été mis en place dans un délai très court : nous nous sommes organisés en moins d'une semaine. Nous avons réussi, malgré la crise et la mise à l'abri des collaborateurs fragiles, à ouvrir notre réseau d'agences à 85 %. C'est un engagement fort de nos collaborateurs : ils doivent être là pour que nous puissions ouvrir. Nous sommes ouverts le matin sur rendez-vous uniquement et l'après-midi est réservé aux interactions par téléphone. Nous avons équipé nos guichets de plaque de plexiglas, de gants, de gels et de savons. Nous attendons un réassort de masques : nous avons distribué notre stock de 11 000 masques au personnel soignant, nous avons estimé que c'était une autre priorité.

Le travail a également été réorganisé dans notre centre de relation clients et nous avons sécurisé notre back-office.

Comment avez-vous plus particulièrement accompagné les entreprises et les professionnels ?

Dès le début de la crise, nous avons décidé le report massif et systématique des prêts pour nos professionnels et à la demande pour nos entreprises. Le mot d'ordre a été donné aux collaborateurs d'appeler chaque client pour évaluer ses besoins.

Ensuite, nous nous sommes rapidement mis en ordre de marche pour répondre aux demandes du Prêt garantie par l'Etat (PGE). Nous avons automatisé le traitement et allégé les process de décisions. Il nous faut agir vite pour les entreprises qui ont besoin que l'on soutienne leur trésorerie. Ainsi, nous sommes en capacité de répondre dans les 48 heures pour les urgences et ainsi simplifier les décisions pour nos collaborateurs sur le terrain.

Depuis l'ouverture du dispositif, nous avons traité 4 000 demandes.

C'est un rythme sans précédent : une semaine d'activité équivaut à 20 % du volume annuel de dossiers. Ils arrivent avec un flux régulier, mais nous n'avons pas encore atteint notre "plateau", nous nous apprêtons à en étudier encore beaucoup.

C'est un procédé très nouveau pour nos équipes car nous travaillons tout de même en effectif réduit. Je suis fier de leur capacité à se mobiliser et de pouvoir ainsi accompagner nos entreprises, nos professionnels et nos clients particuliers. Cela renforce notre position dans l'économie et dans la société.

Certains acteurs économiques pointent du doigt des difficultés pour accéder à ce PGE, que leur répondez-vous ?

Nous avons, au total, refusé moins de 10 % des dossiers. Les trois-quarts des refus sont liés aux critères d'éligibilité fixés par l'Etat : les dossiers n'y répondaient pas. C'est un nombre de refus réduits en nombre.

Depuis votre arrivée à la tête de cette délégation régionale il y a un peu plus d'un an, vous avez initié, en droite ligne avec la stratégie du groupe, une nouvelle organisation. Voyez-vous, dans l'agilité que vous décrivez, les premiers effets de ce nouveau modèle ?

La souplesse et l'agilité dont nous avons fait preuve dans le monde bancaire de façon générale vont nous aider à nous transformer encore plus rapidement. En effet, jusqu'en octobre dernier, toutes nos directions régionales étaient dédiées aux trois marchés. Depuis, nous avons revu notre organisation : nous comptons désormais six directions régionales dédiées aux particuliers et aux professionnels - le réseau d'agences - et quatre centres d'affaires régionaux dédiés aux entreprises - Deux Savoie, Isère Drôme Ardèche, Auvergne Loire et bassin Lyonnais. Ce dernier est le plus gros centre d'affaires régional de France, par son PNB et les équipes qui y œuvrent.

Cette concentration ne signifie pas que nous avons renoncé à la proximité vis-à-vis de ces clients : en relais des quatre directions régionales dédiées, nous disposons toujours sur notre territoire de 28 centres d'affaires locaux. Les équipes restent sur place, elles sont justes agrégés à un marché dédié. C'est très important qu'elles restent en proximité avec les chefs d'entreprises, les directions financières dans un rayon de quelques kilomètres.

Nos directions régionales ont donc des orientations marchés plus marquées pour avoir des équipes et des managers beaucoup plus concentrés sur les marchés dont ils ont la charge. Ils dépassent désormais la taille de nos anciennes directions régionales : notre objectif est d'y injecter de l'expertise, par exemple, des experts en gestion des flux, du commerce international, etc. Nous avions moins la faculté de le faire auparavant car certaines portaient des volumes de clients réduits.

L'idée étant aussi de gagner en rapidité de décision, car cela nous a permis d'écraser un peu la pyramide de management et le processus. Autre exemple qui illustre cette volonté : nous allons dispatcher une partie de notre équipe risque au cœur des centres d'affaires alors que ce type d'expertise est généralement concentré au siège régional. Tout ceci n'est que de la transformation : cela n'affecte absolument pas les effectifs. Au contraire, sur le marché entreprises, on a nommé de nouvelles personnes, comme par exemple l'accompagnement stratégique du chef d'entreprise sur le plan patrimonial. Ce marché entreprise est véritablement un relais de croissance.

Notre modèle Société Générale vise justement à permettre à nos conseillers clientèle chargés d'affaires d'être de plus en plus experts sur toutes les questions et de savoir faire appel aux différents expertises nécessaires. Certes, ils ont changé de manager, mais ils ont gardé leur portefeuille parce qu'on ne voulait surtout pas y toucher, parce qu'on ne voulait pas perturber nos clients. Nos conseillers clientèle se trouvent certes rassemblés au sein d'un dispositif plus large mais disposent d'une expertise plus importante. C'est aussi une plus grande disponibilité pour les managers, plus à même de venir en appui de ses collaborateurs directs.

Pour accompagner tous nos collaborateurs, nous avons initié un grand plan de formation : nous avons multiplié par deux, par rapport à 2018, notre nombre d'heures de formation.

Le manager joue son vrai rôle de banquier conseil auprès de son marché dédié.

Cette possibilité d'être plus autonome, cette nouvelle agilité, cette proximité locale et régionale sont payantes et resteront pour la suite. C'est une force de disposer désormais d'un dispositif puissant.

En décryptant les effets de la crise, vous soulignez également la montée en puissance du télétravail. Est-ce un pas définitivement franchi pour une organisation comme la vôtre ?

C'est un autre aspect de la crise qui laissera sûrement des traces "positives". Le Covid-19 aura fait bouger les lignes du télétravail de façon rapide.

Nous l'avons mis en place de façon massive, en investissant rapidement dans plusieurs milliers de tablettes (y compris dans tout le réseau national de la Société générale, NDLR) pour faciliter et augmenter le travail à distance. Jusqu'à présent, le télétravail fonctionnait très bien pour notre siège parisien avec une journée ou deux par semaine, permettant de mieux gérer les équilibres entre vie privée et vie professionnelle dans les grandes métropoles.

C'était - c'est toujours - plus difficile en agence, surtout une petite agence, car cela reste compliqué d'ouvrir à effectif trop restreint. Mais dans certains cas, et en tous cas pour toutes nos fonctions supports, nous avons fait un pas de géant en la matière, nos équipes IT se sont très vite mobilisés pour garantir la sécurité de tous : ce sera difficile de revenir en arrière.

La fréquentation est en baisse dans les agences bancaires depuis quelques années. Estimez-vous que la crise sanitaire va accélérer ce mouvement ?

C'est un constat sans appel, le comportement de nos clients évolue. Il faut nécessairement s'adapter.

Ils se déplacent moins, ont moins de temps, accaparé par tout autre chose mais ils sont aussi de plus en plus informés. Ce qui fait que lorsqu'ils se déplacent en agence, c'est pour rencontrer des gens qui ont un niveau d'expertise élevé, différents de ce qu'ils ont pu apprendre par eux-mêmes. On en revient donc au sens de notre réorganisation interne.

Une autre réponse : les outils. Nous sommes fiers à la Société Générale de nos applications. Elles sont en place depuis un certain nombre d'années et elles sont encore régulièrement primées pour la qualité des services apportée. C'est un axe que nous allons continuer à développer car c'est une attente évidente de nos clients. D'ailleurs, la crise le démontre : nos équipes de terrain aident énormément nos clients, via le téléphone ou le mail pour les préserver, pour les aider à prendre en main ces outils digitaux. Nos équipes ont fait progresser les clients.

Et puis évidemment, la dernière réponse, c'est l'adaptation du maillage, surtout dans le tissu urbain. Mais nous ne sommes pas enfermés dans des règles : parfois on va opter pour une fusion de deux sites, parfois on va opter pour le maintien de toutes les agences mais avec la mise en place d'une communauté d'équipe "multi-site". C'est surtout valable pour les secteurs périurbains et ruraux. Nous estimons que nous avons un rôle sociétal à jouer sur notre périmètre, et maintenir du commerce sur certaines zones en fait partie.

Aujourd'hui, nous comptons 200 agences, après avoir fermé 40 agences en sept ans, à un rythme très progressif. Nous estimons être arrivé à un niveau de maturité assez bon, nous arriverons au bout du processus en cette fin d'année 2020, d'autant que la distance a renforcé la proximité relationnelle avec nos clients pendant la crise sanitaire que nous traversons. Ce qui est certain, c'est qu'on ne se parlera plus de la même manière.

Y voyez-vous une façon de retrouver du sens dans vos activités, loin de la crise de 2008 et de ses secousses financières ?

La situation actuelle est très différente : c'est la crise sanitaire qui est à l'origine de la crise économique. Le secteur bancaire participe fortement au maintien de la capacité de fonctionner des entreprises et des professionnels. Nous soutenons aussi les particuliers : la baisse des revenus, notamment due au chômage partiel, va aussi les impacter. Nous sommes très à l'écoute pour toutes les situations et nous sommes fier de tenir ce rôle et de reprendre la parole.

Ce que nous injectons dans l'économie est considérable. Les banques, les salariés des banques, sont mobilisés pour soutenir cet ensemble. Nous sommes aujourd'hui solides, avec un matelas de liquidité important qui nous permet de tenir et de jouer ce rôle.

Un autre projet d'envergure devait voir le jour au cours de ce mois d'avril 2020 : le regroupement et l'installation d'une grosse partie de vos équipes à Lyon-Gerland. Qu'en est-il aujourd'hui ?

En effet, on doit rassembler dans un grand immeuble de 4 700 m2, "Les Jardins du Lou", près de 270 collaborateurs. C'est une opération majeure qui est légèrement reportée car les travaux d'aménagement ne sont pas terminés. Ils reprendront dès que le déconfinement progressif se profilera : je n'ai pas de grosses inquiétudes par rapport à cela, il est indispensable de faire les choses convenablement, dans le respect des règles sanitaires.

Aujourd'hui, nos équipes sont réparties sur sept sites. Mis à part nos équipes du back-office qui restent à la Part-Dieu et le centre de relation clients, en centre-ville, rue du Président Edouard Herriot, nous regroupons toutes nos équipes (Centre d'affaires entreprises, salle de marché, équipes de la banque d'affaires, de la banque privée, les sièges de deux directions régionales Lyon Ville et Lyon Périphérie, équipe de la délégation régionale) sur un seul site.

Nous quittons la Part-Dieu et les différents immeubles où nous étions éclatés pour de nouveaux locaux communs de grande qualité. Ils sont lumineux, bien agencés : nos équipes pourront - je l'espère - y vivre très agréablement. Gerland sera demain un quartier d'affaires important de Lyon. Et le site est un clin d'œil sympathique au Stade de Gerland et au rugby, qui a une longue histoire avec la Société générale. Il véhicule des valeurs positives et dynamiques, de fair-play, d'engagement et d'esprit d'équipe, qui nous ressemblent et que l'on cultive.

Cela va nous permettre également de faire mieux travailler en synergie ces différents métiers, comme le centre d'affaires régional avec la salle des marchés et la banque d'affaires et privé par exemple. Le fait de travailler tous ensemble dans un même bâtiment devrait nous apporter à tous, direction régionale comprise, quelque chose de tout à fait positif.

Le groupe avait annoncé un plan de suppression d'emplois qui devait être mis en œuvre au cours de l'année. Qu'en est-il de ces mesures avec la crise du Covid-19 ?

Notre région devait être impactée, mais à la marge et uniquement pour les directions du siège, dont la délégation régionale fait partie. Toutes les opérations de transformation ayant un impact sur les effectifs sont gelées jusqu'à nouvel ordre.

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