Une croissance durablement lente est un risque pour la France

Par Par Patrick Artus, Chef économiste, membre du comité éxécutif de Natixis  |   |  1250  mots
Le risque pour la France n'est pas une crise brutale, comme dans les pays périphériques de la zone euro, mais une croissance durablement très lente.

Certains observateurs s'étonnent de ce que les investisseurs ne manifestent pas d'inquiétude quant à la situation de la France, ce qui explique la bonne tenue de ses marchés financiers. Mais cette attitude des investisseurs est normale : il n'y a pas en France de risque de crise brutale comme il y en a eu dans les pays périphériques de la zone euro, car on ne voit aucune dégradation brutale (des finances publiques, du commerce extérieur) et parce que l'économie française est très peu cyclique.

Le risque concernant la France est différent : c'est celui d'une croissance durablement faible. Tout va en effet dans ce sens : la fiscalité et la rentabilité déprimée du capital ; la compétitivité-coût dégradée, les problèmes de qualification de la population active ; la faible sophistication du capital des entreprises, la structure sectorielle de l'économie. C'est donc progressivement et lentement que le pessimisme sur la situation de la France va s'installer.

Aucune inquiétude visible de la part des investisseurs

Les marchés financiers ne manifestent aujourd'hui aucune inquiétude quant à la situation économique de la France. L'écart de taux d'intérêt à 10 ans sur la dette publique avec l'Allemagne est très stable, autour de 60 points de base, et il ne réagit à aucune annonce, à aucun choc. Le CAC (l'indice boursier) augmente régulièrement.

Beaucoup d'investisseurs et d'observateurs s'étonnent de cette situation alors que les nombreux problèmes structurels de la France, sur lesquels nous allons revenir, sont largement débattus. Mais il est normal que les investisseurs (essentiellement non-résidents, avec un taux de détention de la dette publique de la France par les non-résidents supérieur à 60%) continuent aujourd'hui à acheter de la dette française, car il n'y a pas en France de risque de crise brutale.

Pas de risque de crise brutale en France

Les pays périphériques de la zone euro (Irlande, Portugal, Espagne, Italie, Grèce) ont connu à partir de 2009 et surtout durant l'hiver 2011-2012 une crise violente, avec très forte hausse de leurs taux d'intérêt, incapacité à financer leurs déficits publics et extérieurs. Mais ces pays montraient aux investisseurs des signes très inquiétants : hausse très rapide de l'endettement public, chute de l'activité, déficits extérieurs devenus impossibles à financer. Ce n'est pas du tout le cas de la France aujourd'hui.

Même si le déficit public n'est réduit que très lentement, le taux d'endettement public en pourcentage du PIB n'augmente que de 2 points par an et n'est, à la fin de 2013 que de 93%, plus bas que dans beaucoup de pays de l'OCDE ; même si le commerce extérieur se dégrade avec les problèmes de compétitivité, le déficit de la balance courante n'est que de 2 points de PIB, grâce en particulier à la hausse de l'excédent des services ; même si le chômage augmente, il est nettement plus faible que dans les pays périphériques de la zone euro. Il n'y a donc aucune urgence, pour les investisseurs, à réduire leur exposition à la France.

La France est de plus une économie peu cyclique où un recul brutal de l'activité est très peu probable. Ceci est dû en particulier au poids très élevé des dépenses publiques, à l'absence de réponse des salaires réels à la situation économique avec le fonctionnement non concurrentiel du marché du travail qui évite le recul des salaires réels dans les récessions observé dans les autres pays.

Une croissance durablement très faible en France pour de multiples raisons

Le problème de la France n'est donc pas le risque d'une crise brutale ; c'est la perspective d'une croissance durablement très lente pour des raisons structurelles persistantes. Les travaux de prévisions à moyen terme du gouvernement français sont faits avec l'hypothèse d'une croissance potentielle (à long terme) de 1,6% par an.

Nous croyons que, au mieux, la croissance potentielle de la France est de 1%. Tout pousse en effet à attendre une croissance durablement faible en France. La rentabilité du capital physique est très faible, d'environ 5%, alors qu'elle atteint 10% en moyenne dans les autres pays de l'OCDE. Ceci décourage d'investir en France, en particulier dans l'industrie, et est dû essentiellement au poids très élevé de la fiscalité qui pèse sur les entreprises.

La compétitivité-coût de la France est dégradée ; compte tenu du faible niveau de gamme de la production, les salaires et les coûts unitaires de production sont très élevés, ce qui implique l'incapacité pour les entreprises industrielles de passer les hausses de coûts dans leurs prix, qui doivent être bas compte tenu de niveau de gamme, et l'effondrement des marges bénéficiaires de l'industrie. Avec des marges très faibles, l'industrie ne peut pas investir pour monter en gamme, et les facteurs de production (capital et travail) sont détournés de l'industrie vers les services.

Faiblesse du niveau de gamme

La faiblesse de niveau de gamme de la production française est renforcée par les problèmes de compétence de la population active. L'enquête PIAAC de l'OCDE montre que la France se classe parmi les derniers en ce qui concerne les compétences de base des salariés.

Ceci explique la faiblesse des gains de productivité, de la croissance de la Productivité Globale des Facteurs, et aussi très probablement la difficulté pour les entreprises d'utiliser des équipements sophistiqués, parce que beaucoup de leurs salariés ne sauraient pas les utiliser. On comprend mieux alors la faiblesse de l'investissement en Nouvelles Technologies en France (moins de 2% du PIB contre 4% aux Etats-Unis), la faiblesse du nombre de robots achetés par les entreprises (3000 par an contre 18000 en Allemagne). Avec un capital peu sophistiqué ; les entreprises ne peuvent pas monter en gamme, et le cercle vicieux de la baisse des prix et de la profitabilité se prolonge.

On a donc en France un défaut de montée en gamme, particulièrement de l'industrie, associé à des compétences insuffisantes de la population active. Il résulte de ces caractéristiques une déformation de la structure de l'économie en faveur des secteurs où la productivité est faible et n'augmente pas (services protégés, distribution, construction…) qui réduit évidemment le potentiel de croissance du pays.

Quelles conséquences d'une croissance durablement très faible ?

La France n'est donc pas sous la menace d'une crise brutale, ce qui explique l'absence d'inquiétude aujourd'hui des investisseurs. Mais elle est sous la menace de l'incapacité à sortir d'une situation de croissance durablement faible, avec les problèmes de qualification, de niveau de gamme, d'absence d'investissements en biens d'équipement sophistiqués, de compétitivité et de rentabilité insuffisantes du capital, de déformation de l'économie au profit des secteurs peu productifs.

Si la croissance de long terme de la France est de 1% au mieux et non de 1,6% (ou plus parfois envisagé), progressivement la situation de tous les systèmes de protection sociale (santé, retraites, indemnisation du chômage…) va continuer à se dégrader ; la réduction des dépenses publiques (0,5% en volume chaque année) nécessaire à la correction des déficits étant très difficile à obtenir, les finances publiques globalement continuent à se détériorer. Ce n'est que lentement au cours du temps que l'inquiétude des investisseurs va monter.