Le - sain - pouvoir de résister

Le « bon » pouvoir privilégie le dialogue à l'étouffement, l'épanouissement à l'assujettissement. Et, pour cela, prend pour socle le débat.

Essentiel pour que le collaborateur s'approprie la décision engagée par la hiérarchie, ce débat est mécaniquement favorisé par l'irruption des nouveaux lieux de pouvoir dans l'entreprise, qui oblige à croiser postures, opinions, convictions et génère une saine conflictualité. « Il faut en saisir l'utilité », préconise Guy Groux. Mais aussi en accepter toutes les manifestations. Y compris les plus perturbantes. Et parmi elles, la résistance. Non celle, passive et délétère - autant pour le sujet que pour l'entreprise - qui germe dans une soumission stratégique- « on obéit pour être tranquille », résume Jean-Louis Muller - et s'exprime par l'absentéisme, le vol, les dégradations, la négligence ou le minimum professionnels, les rumeurs et le dénigrement, le cynisme et le quant-à-soi, mais celle qui est créatrice de valeurs. David Courpasson concentre une partie de ses travaux au sujet. Son examen est sans appel. Le professeur de sociologie à EM Lyon stigmatise le particularisme totalitaire de l'entreprise, qui ne punit pas l'abus de pouvoir et nourrit dans sa population schizophrénie et envahit leur sphère privée ». La contestation, issu de salariés- « des salariés adoptent des comportements ultra-conformistes sans être dupes un seul instant » -.«Forte des techniques marketing », elle impose un pouvoir dit «manipulatoire », qui exhorte le corps social à « oublier qu'il peut exprimer sa réprobation, sa contestation », et qui le formate dans le miel des séminaires de motivation. « Les salariés apprennent à recevoir l'ordre en devenant indifférents à l'origine de cet ordre ». Les manifestations officielles de résistance à cette mécanique sont en recul, mais se radicalisent (sabotage, mutinerie...). Surtout, poursuit le chercheur, croît un mouvement massif et même générationnel de contestation,issu de salariés « qui disent «stop » à l'exercice de ce pouvoir, notamment parce qu'il envahit leur sphère privée ». La forme qu'il prend? L'indocilité, la démission... Un contre-pouvoir qui mue en « véritable nouveau pouvoir, sain et riche pour l'entreprise lorsqu'elle l'accepte ». Car il s'agit là d'une résistance constructive, génératrice de créativité, d'émotions partagées, de prises de responsabilités, qui profitent à la culture de l'entreprise. Celle-ci est alors obligée de réfléchir aux moyens de s'articuler sur ces déterminations, et donc se remet en cause e en mouvement. Enfin elle s'assure une légitimité nouvelle auprès des salariés - exactement comme dans une famille, lorsque les parents intègrent à leur autorité l'expression de résistance des enfants -. Tout cela concourt à favoriser l'émergence d'initiatives, la régénération des intelligences, la cohérence des actions, « et donc l'efficacité et la démocratie de l'entreprise », assure le professeur, qui lui-même cherche à éveiller chez ses étudiants - comme à sensibiliser les managers - ce germe d'une résistance rebelle. « On ne cesse d'enseigner que la résistance est un « mal »; le malaise profond qui frappe le management trouve racine dans cette inepte stigmatisation ». Toutes les entreprises sont-elles égales dans leur apprentissage de la résistance? « Non », juge David Courpasson. Parce qu'elles se sont érigées dans la confrontation sociale et la bipolarisation des pouvoirs, les entreprises industrielles ont ensemencé une culture du conflit qui incorpore naturellement le principe de la résistance. « Au contraire des despotismes froid ». 

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