Micmac à Morzine, épisode 3 : la nébuleuse des marchés publics

Doute sur l'intensité de la mise en concurrence, seuils fluctuants, contrôle de la légalité défaillant sur plus de 25 millions d'euros, condamnation par la justice... À Morzine, la commande publique n'est décidément pas bien gérée. Le 3e volet de notre série "Micmac à Morzine" se penche sur ces dérives.

Après l'épisode des trois mousquetaires, celui de la drôle de gestion des ressources humaines, la petite commune de Morzine tient le haut de l'affiche d'un troisième épisode non moins passionnant : celui des commandes publiques.

Avec plus de 50 marchés par an, soit 262 entre 2009 et 2013, "un niveau particulièrement élevé" selon la chambre régionale des comptes, les dirigeants haut-savoyards devraient être au fait de la procédure dans le domaine. Loin de là. Ils se distinguent, au contraire, par un criant manque de "professionnalisme et d'organisation", écrivent les magistrats. Les mots des limiers financiers peuvent apparaître retenus lorsqu'on rentre dans les faits.

Premier explication de cette défaillance ? "La commune ne dispose pas de service, de cellule, ou de référent identifié en matière de commande publique", soulignent les magistrats. Et pour peu qu'un agent soit identifié, aucune procédure n'est mise en place pour "professionnaliser" celui-ci dans ce domaine où des deniers publics sont en jeu.

En réponse à la chambre, les élus ont indiqué avoir "lancé une consultation pour un marché d'assistance juridique au titre de la commande publique". Voilà , peut-être, une opération utile, qui pourrait être réalisée dans les règles de l'art.

De nombreuses irrégularités

Car, selon le rapport de la chambre, de nombreuses commandes publiques sont entachées d'irrégularités. Par exemple, à partir d'un certain seuil, la mise en concurrence est normalement obligatoire. Mais, à Morzine, ce fut très peu effectif.

"Plusieurs éléments créent un doute sur l'intensité de la concurrence organisée par la commune", épingle la chambre régionale.

Par exemple, l'institution pointe l'absence fréquente des avis d'appel public à la concurrence (pourtant obligatoire). Elle révèle aussi que les rapports d'analyse des offres, qui "témoignent de l'existence d'une concurrence, sont souvent manquants".  À titre d'exemple, il manque, dans 19 marchés, le rapport d'analyse des offres.

Et dans certains cas, cette absence de pièces ou de preuve de mise en concurrence peut concerner de juteux marchés. En 2011, la réalisation de l'accueil de la station d'Avoriaz a coûté 202 382 euros. Ou encore, la construction du lot 4 de l'ascenseur au Coulet, d'un montant de 172 316 euros.

La chambre note que ce sont toujours les mêmes entreprises qui assurent ces travaux. "Quatre opérateurs ont ainsi obtenu (...) plus du tiers des marchés passés par la commune", précise l'institution.

Des consultations infructueuses qui aboutissent tout de même

Et lorsque Morzine décide une mise en concurrence effective, elle n'assure pas la légalité de la procédure. Par exemple, pour des travaux de voirie engagés sur la période 2009-2012, elle fixe un montant minimum de travaux, mais pas de maximum.

Autre fait étrange, les consultations infructueuses. Lorsque l'appel public ne trouve pas preneur pour diverses raisons (offres "inappropriées","irrégulières", "inacceptables"), il est possible de mettre fin à celui-ci.

Dans le cas de l'ascenseur du Coulet cité plus haut, la commune a décrété infructueux plusieurs lots de ce chantier. Dont le lot numéro 4, qui correspond à la charpente de l'ascenseur, d'un montant de 172 316 euros. "Il peut être supposé que les offres étaient inacceptables, du fait d'écarts importants avec les estimations initiales", note la chambre.

Pourtant, les entreprises qui ont postulé seront tout de même retenues. La chambre dénonce :

"Dès lors, cette déclaration d'infructuosité ne semble pas justifiée et a pu permettre de négocier irrégulièrement avec lesdites entreprises, dans la mesure où cette négociation n'avait pas été envisagée lors de la consultation initiale."

Des seuils fluctuants

Autre onglet épinglé par les limiers, le seuil en dessous duquel un marché public hors procédure peut être passé sans publicité, sans mise en concurrence et sans contrat écrit. Ce seuil n'a pas été stable sur la période 2009-2012. Il était de 4 000 euros en 2008, et a grimpé à 20 000 euros en 2009 pour redescendre à 15 000 en 2012.

Si de nombreuses commandes publiques ne sont pas conformes, il a été difficile pour les magistrats d'en prendre pleinement conscience.

"La chambre a constaté des difficultés au niveau de l'archivage des pièces de marchés. Il n'existe aucun exemplaire original."

Contrôle de la légalité défaillant

Parmi les défaillances, à partir du seuil de 200 000 euros (référence 2012), les marchés publics sont soumis à un contrôle obligatoire, sous la responsabilité du préfet. Au total, plus de 25,5 millions d'euros répartis dans douze opérations n'auront ainsi fait l'objet d'aucune transmission au contrôle de légalité avant notification.

Cette obligation n'a pas été tenue entre, au moins 2009 et 2011, selon un courrier du préfet de Haute-Savoie cité dans le rapport. Les magistrats notent toutefois que "la situation sera parfois régularisée, mais certains marchés avaient été exécutés depuis plus de deux ans et d'autres étaient d'ores et déjà soldés".

De son côté, le préfet, par manque de documents transmis par la commune, n'était pas en capacité d'effectuer le contrôle.

Des avenants généreux

"À Morzine, de nombreux avenants excédant 15 % (le seuil qui peut bouleverser l'équilibre d'un contrat, NDLR) du montant initial ont été signés", relèvent les limiers financiers. À plusieurs reprises, le seuil de 15 % a été explosé, comme sur l'opération "AMO pour instauration d'une servitude de piste de ski" : une évolution de 115,3 %, faisant plus que doubler le montant initial, pour une addition finale de 152 000 euros !

Et dans les cas cités par la chambre, toujours pas de documents pour expliquer ces évolutions, voire ces "dérives parfois fortes", comme soulignent les magistrats.

En somme, l'institution de contrôle suspecte l'utilisation de ces avenants comme un moyen de faire passer ces opérations sous la procédure initiale, alors que les montants finaux, avec les avenants, auraient dû déclencher le recours à une procédure formalisée.

Morzine condamnée par la justice

La "commune a exonéré, à plusieurs reprises, certaines entreprises du paiement de pénalités" liées à des aléas de chantiers.

Enfin, pour signaler l'incompétence des élus de Morzine dans la commande publique, ou un éventuel "intéressement", l'exemple du chantier de la piscine est symptomatique de toutes ces dérives.

Sur ce chantier, la commune avait choisi l'offre d'un opérateur différent de celui à qui correspondait l'offre la mieux notée. L'opérateur évincé a porté l'affaire devant la justice :

"Le tribunal administratif (...) a ainsi jugé le 15 octobre 2012 que la procédure de consultation et de choix avait été viciée et a condamné la commune."

Une première condamnation, que d'autres pourraient suivre.

[Micmac à Morzine] Épisode 1 : le maire, l'expert-comptable et le notaire

[Micmac à Morzine] Épisode 2 : une drôle de gestion des ressources humaines

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