ABC Grenoble : le retour d'expérience des logements sociaux qui potabilisent l’eau pluviale (et pas que)

Il a été pensé comme un démonstrateur, capable de réduire de 70% sa consommation énergétique (mais aussi des deux tiers sa consommation d’eau de ville et de 40% ses déchets), tout en accueillant 62 logements sociaux et intermédiaires. Depuis sa livraison en août 2020, le projet ABC (pour « Autonomous Building for Citizens ») conçu par la filiale de Bouygues Construction, Linkcity, s’est donné des objectifs ambitieux en matière d’autoconsommation et de réduction de son impact environnemental. Avec, parmi les innovations qui seront testées au cours des cinq prochaines années, un dispositif de transformation d’eau pluviale en eau potable qui fonctionne déjà.
Alors que le projet ABC misait, depuis sa livraison il y a deux ans, sur une forme d'autonomie énergétique (partielle), qui prend un tout autre sens dans le contexte actuel, le montant de la facture énergétique pour ses habitants n'aura cependant diminué qu'en faible partie seulement, car les équipements installées doivent aussi être financés et maintenus.
Alors que le projet ABC misait, depuis sa livraison il y a deux ans, sur une forme d'autonomie énergétique (partielle), qui prend un tout autre sens dans le contexte actuel, le montant de la facture énergétique pour ses habitants n'aura cependant diminué qu'en faible partie seulement, car les équipements installées doivent aussi être financés et maintenus. (Crédits : DR)

Depuis août 2020, ce sont 62 logements sociaux et intermédiaires répartis en deux immeubles qui sont sortis de terre dans le quartier de la Presqu'île Scientifique grenobloise. Et ils dénotent déjà par leurs ambitions, car la cible affichée dès le départ était en réalité triple : assurer une réduction des consommations d'énergie de 70%, mais aussi des deux tiers de sa consommation d'eau, et de 40% sur le plan des déchets. Le tout, en mettant la technologie et l'innovation au service de la transition écologique et du bien-être des habitants, qui plus est en logement social.

Car c'est finalement le bailleur social Grenoble Habitat qui s'est porté acquéreur de ce démonstrateur en VEFA, grâce à une convention avec la Ville de Grenoble en 2014, et plus particulièrement sa SEM d'aménagement Innovia, faisant ainsi passer le projet du stade de démonstrateur directement à l'échelle réelle.

Conçu par la R&D de Bouygues Construction et sa filiale Linkcity, qui se pose en promoteur de l'opération, l'immeuble ABC (pour « Autonomous Building for Citizens ») a été dessiné par le cabinet d'architecte Valode & Pistre, tandis que Bouygues Bâtiment Sud-Est a réalisé l'ensemble des travaux de ce projet, qui compte 20 logements sociaux et 42 logements intermédiaires. Après le dépôt du permis de construire en 2017, les travaux ont pu démarrer des 2018 avec une première livraison à la fin du premier confinement, à l'été 2020.

« Il s'agit d'un dossier de longue haleine qui a commencé en 2011, puisque notre responsable du développement durable voulait créer un démonstrateur autour les enjeux d'autonomie énergétique », se souvient Carole Valade, responsable Linkcity de l'agence de Grenoble.

Avec un coût global estimé à 14,5 millions d'euros, ce projet a été financé en partie seulement par l'acquisition réalisée par Grenoble Habitat (11 millions d'euros), mais également par des aides de la ville et de la SEM Innovia, ainsi que des enveloppes issues de la Métropole, la Région, l'Ademe ainsi que du PIA4.

« Ce qui nous a fait embarquer était d'une part la volonté des élus grenoblois qui, une fois avoir acté le principe d'une implantation à Grenoble, d'avoir un porteur de projet à terme qui défende une vision, et de l'autre, la faculté d'avoir un outil qui ne soit pas bridé dans ses statuts et qui permette d'ouvrir l'expérimentation aux habitants », souligne Bruno Raynfeld, directeur du développement et de la maîtrise d'ouvrage chez Grenoble Habitat, qui rappelle que comme souvent, le logement social a rempli sa fonction d'innovation en prenant part à ce projet.

Bouygues Construction avait fait son marché sur les innovantes locales (et mondiales)

« ABC a représenté une première en matière d'efficacité énergétique en France et était déjà en phase à l'époque avec les attentes de sobriété que l'on rencontre aujourd'hui », estime Carole Valade. Car dès 2011, le groupe Bouygues était ainsi allé chercher les dernières innovations en matière d'autonomie énergétique, et ce dans plusieurs domaines :

« Nous avons opté pour le design le plus sobre possible, en travaillant sur une conception générale du bâtiment qui soit assez compact, avec moins de façades extérieur, l'ensemble des menuiseries réalisé en triple vitrage, l'utilisation de béton bas carbone, des isolations extérieures en liège ».

Côté énergie, le bâtiment est équipé d'une ferme photovoltaïque sur le toit de 1.100 m² de panneaux, développée en partenariat avec Bouygues et l'énergéticien local GEG ENR, et muni d'une capacité de stockage (sous forme de batteries) en sous-sol. « Chaque logement est équipé de radiateurs pilotables et d'un radiateur central qui permet de stocker de l'énergie développé par le grenoblois Lancey Energy Storage », illustre la responsable de Linkcity Grenoble.

Et pour maximiser les gains énergétiques, le promoteur a fait le choix d'équiper l'ensemble des logements avec de l'électroménager basse consommation (A+++). Une pompe à chaleur a également été installée en sous-sol tandis qu'un système innovant de panneaux solaires à double fonction, permettant de récupérer à la fois l'eau de pluie et de l'envoyer à un système de potabilisation, situé en sous-sol du bâtiment, a été développé à travers un partenariat avec Suez. « Il s'agit d'une expérimentation unique et inhabituelle en France, qui n'est d'ailleurs pas reproductible ailleurs en l'Etat », souligne Bruno Raynfeld.

Une dizaine d'appartements ont été également dotés d'un système de recyclage des eaux usées des douches, initialement conçu pour les navettes spatiales par un acteur anglais, et qui permet de séparer les eaux trop savonneuses des eaux grises, pouvant être réutilisées, grâce à une cellule de détection photovoltaïque, en vue d'alimenter les chasses d'eau et l'arrosage extérieur.

L'installation de pommeaux de douche connectés et pédagogiques, développés également par le grenoblois Hydrao, contribue à sensibiliser les utilisateurs sur leurs consommations.

Le bilan, deux ans plus tard

Résultat ? Deux ans plus tard, le bâtiment n'est plus très loin de sa cible de réduction en matière de consommation d'énergie, qui atteindrait jusqu'à -60% (contre -70% projetée), lorsque l'on prend le cumul des consommations globale à l'année.

« Avec la problématique qui est que l'on produit toujours beaucoup de jour tandis que les consommations se font davantage la nuit et en soirée, ce qui pose la question du stockage, même si dans ce modèle, la revente de l'énergie à EDF en surplus est prévue », illustre Carole Valade, qui rappelle également que les confinements ont fait grévé les prévisions.

Côté stockage d'énergie, l'immeuble est déjà doté d'un système collectif reposant sur deux grosses batteries en sous-sol ainsi que d'un radiateur central permettant d'accumuler de l'énergie dans chaque logement. « Lancey Energy Storage travaille depuis 2017 au développement d'un radiateur de taille identique mais à plus forte capacité de stockage, et c'est quelque chose que nous regardons comme piste d'amélioration », concède la responsable Linkcity Grenoble.

Tandis que sur la partie eau, la réglementation, qui imposait une période de mesures et de tests d'au moins six mois en vue de monitorer le dispositif de potabilisation de l'eau, aura généré six mois de double consommation qui pèsent encore sur le premier bilan global de l'opération. « Mais nous allons désormais entrer dans une vitesse de croisière qui permettra de réduire les consommations, plutôt de la moitié que des deux tiers annoncés », glisse Carole Valade.

Grenoble Habitat attend aussi le premier bilan annuel de 2022, qui devrait être disponible d'ici un mois, même s'il remarque déjà que l'année semble s'être traduire par un manque d'eau collecté par rapport au scénario imaginé. « Cela pourrait traduire le fait que la pluie est moins tombée que prévu, ou parfois de manière plus forte et que le système l'a moins bien collectée ». Et d'ajouter que le dispositif, en l'état actuel, ferait peser trop de charges et de frais d'analyses pour qu'il ne soit rentable à ce stade, dans une région comme celle de Grenoble, où la ressource en eau demeure disponible.

Pour Bouygues Construction, le test grandeur nature de cette centrale de potabilisation aura cependant démontré que l'infrastructure s'avérait finalement « surdimensionnée » par rapport aux besoins des 62 logements existants : « pour les projets à venir, nous savons que ce type de centrale serait capable de potabiliser tout un quartier, et d'offrir des frais de maintenance ainsi mieux répartis », ajoute la responsable Linkcity Grenoble.

Côté eaux grises, Grenoble Habitat regrette qu'outre les surcoûts à prévoir pour doubler les réseau de canalisations, le projet n'ait pas reçu l'autorisation de l'ARS pour utiliser également l'eau de récupération pour alimenter par exemple les lave-linges : « cela aurait rendu la pertinence de l'investissement encore plus importante », note Bruno Raynfeld, qui rapporte toutefois l'effet bénéfique qui semble se dégager sur l'ensemble des consommations globales en eau des ménages.

En vertu de l'ensemble des équipements installés, les premiers chiffres tablent tout de même sur une réduction de la consommation globale des habitants d'ABC ramenée à 68 à 69 litres d'eau par jour et par personne, contre une prévision de 80 litres initiale et une moyenne plus largement observée allant même de 140 litres.

Ce qu'il est possible de répliquer à plus large échelle

La résilience énergétique du bâtiment fait également partie des points forts constatés, deux ans après la livraison, par les locataires et leur bailleur. Et en particulier en période de canicule, où la performance de l'isolation du bâtiment aura permis de maintenir 25 degrés à l'intérieur, ainsi qu'une forte réduction des bruits ambiants.

Alors que le projet annonçait également des économies d'énergie importantes, qui prennent un tout autre sens dans le contexte actuel, le montant de la facture énergétique pour ses habitants n'aura cependant diminué qu'en partie seulement (soit bien en dessous de la cible de 70%).

« Il faut bien payer l'énergie qui demeure produite sur ce site, car c'est par exemple GEG ENR qui a investi sur cette ferme photovoltaïque et qui revend l'énergie produite. Sur l'électricité, la consommation est par exemple un peu réduite, mais il faut également compter les coûts de maintenance des panneaux, qui compensent pour l'instant la réduction de consommation attendue », justifie Carole Valade.

Et d'ajouter : « Le premier objectif était déjà de produire localement et de consommer moins mais mieux, même si ce n'est pas forcément un gage de payer moins pour le locataire ».

Grâce à ce test, Bouygues Construction sait désormais ce qu'il est possible de répliquer à une plus large échelle : « Tous les sujets de l'énergie pourraient être quasiment réplicables tels quels, notamment concernant l'isolation des bâtiments, la question des panneaux solaires qui a depuis évolué, et peut désormais se faire sous forme de panneaux mous ou en voile par exemple, ainsi que le fait de doter un immeuble de batteries, d'électroménager très basse consommation, ou encore de radiateurs capables de stocker l'énergie », avance Carole Valade.

Financer les surcoûts et trouver l'équilibre du projet

La question du recyclage des eaux grises (qui a d'ailleurs dû faire l'objet d'une dérogation pour sa phase de tests, ndlr) nécessite de réaliser un double système d'eau pour alimenter les toilettes, qui renchérit cependant nécessairement les coûts de construction. « Il faut donc qu'il s'agisse d'une volonté du client final, qu'il soit prêt à payer un peu plus cher pour ne pas utiliser le réseau d'eau potable », ajoute-t-elle.

Et ce sera, plus largement, tout l'enjeu de cet immeuble à visée d'autonomie énergétique : car à l'heure actuelle, le projet a été financé encore en partie grâce à des aides provenant des différents niveaux de l'Etat (collectivités locales, Ademe, PIA4), et nécessite de bâtir un modèle à la fois équilibré, mais acceptant aussi certains surcoûts ou priorisations.

« Les bailleurs sont très sensibles aux enjeux de réduction des consommations, mais ils sont souvent limités par le prix auquel ils pourront ensuite louer ces logements. In fine, c'est toujours le client final qui choisit ou non de supporter les surcoûts, même si nous avons également à cœur de prendre en charge une partie du projet, notamment concernant la R&D, sur ce type de sujet ».

Pour Grenoble Habitat, outre le montage particulier de ce dossier qui l'a conduit à prendre en charge du locatif intermédiaire en plus du logement social, tout en bénéficiant d'un soutien financier de la Ville et de la Métropole, la difficulté demeure de pouvoir maîtriser de nouveaux équipements qui représentent un coût d'exploitation supérieur à des logements classiques, alors que les loyers du parc social demeurent en même temps maîtrisés.

« Nous avons toujours commercialisé le projet en expliquant que ce n'est pas parce que l'on captait des ressources solaires ou en eau que l'énergie produite ne coûterait rien. La difficulté étant justement de parvenir à bien maîtriser ces process pour qu'ils ne coûtent pas, en bout de ligne, plus cher », avance Bruno Raynfeld.

Avec toutefois, un autre enseignement pour le parc social : « Ce projet nous a aussi montré que lorsqu'on responsabilise les locataires en y mettant les moyens, on récolte les fruits de cet investissement car ils s'approprient aussi les nouveaux usages du bâtiment ».

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