Réseaux d’entrepreneurs : fédérer les Savoies

En Savoie et Haute-Savoie, la réussite des professionnels du tourisme à se fédérer fait rêver les acteurs économiques des autres secteurs d’activité. Ces derniers, notamment dans l’industrie et le numérique, tentent de développer de nouveaux réseaux de dirigeants. En complément des structures traditionnelles existantes, ils initient, non sans mal parfois, de nouvelles formes de partenariats. À multiplier les dispositifs, existe-t-il un risque de confusion et d'illisibilité ? Les Savoies ne manquent pas d’ambassadeurs potentiels, encore faut-il les fédérer sous des bannières communes.

La Haute-Savoie a le regard tourné à la fois vers Genève, où le quart de sa population active est employée, et vers son icône mondiale, le Mont-Blanc. Ironie de la situation, c'est dans la vallée de l'Arve, menant de la métropole suisse au toit de l'Europe, que certaines des plus belles réussites industrielles du département se construisent. Les clients viennent du monde entier pour commander des pièces de très haute technologie, par exemple, pour les industries automobile et aéronautique. Dans les entreprises de décolletage de la vallée de l'Arve, le travail s'effectue en salles blanches. Mais la vallée reste plus médiatisée pour la pollution de son air que pour sa haute technologie.

L'exemple du décolletage

Pourtant, c'est bien à partir de ce territoire, qui concentre 400 des 600 entreprises françaises du décolletage, que ce secteur a su se fédérer. Et même si cela est ancien − le Syndicat national du décolletage (SNDEC) a vu le jour en 1897 −, la profession a réussi à utiliser son union pour s'adapter aux évolutions de ses marchés.

Le Plan expansion 2020 du SNDEC a ainsi permis de créer le Fonds Arve Industries Capital,  qui a investi 19,6 millions d'euros depuis cinq ans dans 11 entreprises pour les accompagner dans leurs projets de développement. Le syndicat professionnel a aussi lancé des structures de mutualisation des ressources humaines, et favorisé le rapprochement entre le Centre technique de l'industrie du décolletage (CTDEC) et le Centre technique des industries mécaniques (CETIM) en vue de créer un techno-centre appelé à devenir la vitrine de l'industrie française du décolletage.

« La Haute-Savoie concentre une densité d'acteurs qui, chacun dans son domaine, a envie de concourir au développement non seulement des entreprises, mais aussi du territoire, commente Jérôme Akmouche, directeur du SNDEC. Cette proximité aide à travailler ensemble, et à le faire vite. Même si on n'est pas toujours d'accord, on peut rapidement évoquer les projets. »

Plus au sud, « la Savoie est un petit village », selon les mots de Frédéric Danquigny, le directeur du Réseau Entreprendre Savoie. Ce « petit village » tire la moitié de sa richesse du secteur du tourisme. Pas étonnant que le vœu du président du conseil départemental Hervé Gaymard d'unifier les deux Savoies ait connu comme première étape la fusion des forces départementales de promotion touristique avec la création en 2005 de Savoie Mont Blanc Tourisme. Cent dix stations, soit les deux tiers du domaine skiable français, se dotaient alors d'une force commune.

Savoie Mont Blanc Tourisme

Les professionnels du tourisme ont réussi à se fédérer sous la bannière Savoie Mont Blanc Tourisme, de quoi faire rêver les acteurs économiques, de l'industrie et du numérique notamment.

Outre le volet touristique, Hervé Gaymard compte jeter dès cette année les bases d'un Savoir Mont Blanc Économie (SMBE), qui serait à l'attractivité économique ce que SMBT est à la promotion touristique. « La logique serait d'harmoniser les outils d'attractivité dans Savoie Mont Blanc Économie », indique-t-il, confiant que cette agence économique est déjà sur les rails.

Donner une image plus complète

Cette force fait rêver les autres secteurs d'activité. Des tentatives de fédération des entrepreneurs des Pays de Savoie ont été initiées, dans une démarche de marketing territorial qui transcenderait tous les secteurs. Un processus engagé, par exemple, par le club d'entrepreneurs Choisir Savoie depuis un an. Face aux métropoles toujours plus puissantes que sont Lyon, Genève et Grenoble, « nous visons à donner une image plus complète des Pays de Savoie », explique Guy Lecomte, initiateur du club. Il constate que les entrepreneurs locaux se sont regroupés jusqu'à présent par secteur d'activité.

« Le territoire est structuré par les chambres consulaires, les pôles de compétitivité, les filières.... Or, il faut arriver à communiquer de manière transversale, pas seulement par métiers. »

Cette inquiétude de ne pas parvenir à faire entendre la voix des entreprises, autres que celles œuvrant dans le domaine phare du tourisme, est partagée par René Nantua. Président d'honneur du centre de ressources en mécatronique Thésame, et ancien dirigeant du pôle de compétitivité Arve Industries, il a fait sa carrière chez NTN-SNR, spécialiste des roulements, implanté à Annecy et quatrième plus grande entreprise des Pays de Savoie.

« Aujourd'hui, il est compliqué de créer une dynamique, témoigne le co-fondateur du club. Pourtant, elle n'a jamais été aussi nécessaire. Nous voyons bien la fracture entre les élus et la société civile. Elle est pour tous, préjudiciable. Nous voulons donc être une force de proposition constructive. »

Choisir Savoie se positionnerait alors comme un laboratoire d'idées apolitique, pour faire émerger de la société civile, des idées à destination des élus. La résidentialisation de l'économie, sous la double poussée du tourisme et du travail frontalier, constitue par exemple une des inquiétudes du club.

« Un territoire performant trouve un équilibre entre l'économie résidentielle et l'économie productive, affirme René Nantua. Veut-on favoriser cet aspirateur à compétences qu'est le travail frontalier, au détriment des entreprises locales, ou bien souhaite-t-on parvenir à davantage d'équilibre ? »

Plusieurs dizaines d'entreprises, dont Entremont et Tivoly, ont déjà rejoint Choisir Savoie, qui vise à rassembler 350 membres a minima. Un nombre nécessaire et suffisant pour « alimenter nos réflexions », explique René Nantua. Toutefois, le club « n'a pas encore trouvé le moyen d'intéresser les entreprises, observe Serge Delémontex, animateur référent des clubs Association Progrès Management (APM) pour le sud-est de la France. La dynamique de la candidature d'Annecy aux Jeux olympiques d'hiver 2018 aurait pu servir de rampe de lancement », regrette-t-il.

Se retrouver entre pairs

D'autres tentent également de fédérer les chefs d'entreprises, et pas seulement pour promouvoir le territoire des pays de Savoie. Les entrepreneurs eux-mêmes ressentent le besoin de se retrouver entre pairs.

« Il est important de rompre la solitude, témoigne Pierre Arboireau, président de Savoie-Transmissions, entreprise haut-savoyarde spécialisée dans la distribution de composants et de systèmes d'entraînement mécaniques. Le réseautage n'est pas du copinage, mais bien un moyen d'apprendre à se connaître pour pouvoir, plus tard, collaborer. »

Et cette capacité à se retrouver dans des réseaux est encore plus nécessaire en Pays de Savoie.

« Notre tissu économique est avant tout constitué de PME, observe le dirigeant. Les grands groupes ont moins besoin de réseaux, parce qu'ils ont déjà toutes les compétences en interne. » Mais entre dirigeants de PME, « il est essentiel de s'intéresser et de comprendre les problématiques que rencontrent les autres pour s'inspirer de leurs solutions, d'autant plus dans un monde hyper-connecté où tout va vite ».

Ce monde connecté, les entrepreneurs du numérique le connaissent bien, tout autant que les règles de la nouvelle économie, qui bousculent les entreprises traditionnelles et remettent en question de nombreuses habitudes. Néanmoins, les entreprises digitales ont dû prendre leur mal en patience avant d'être reconnues par leurs aînées. Revenant une quinzaine d'années en arrière, au moment de la création de son agence web NOE Interactive, à Aix-les-Bains, Jean-Baptiste David se rappelle du regard des chefs d'entreprises et des institutionnels de l'époque. « On nous prenait pour des rigolos ! », se souvient celui qui a créé son entreprise à l'âge de 26 ans. En Pays de Savoie, les entrepreneurs du numérique ont cherché à se rassembler, d'abord au sein de l'association G147 − comme Groupement 147, soit 73+74 −, demeurée largement méconnue hors de la filière. « Nous avons alors compris qu'il nous faudrait réaliser notre business dans notre coin », analyse Jean-Baptiste David.

Une révolution née à Paris

« Les chefs d'entreprise du numérique ne sont pas représentés dans les organismes professionnels classiques, telles les CCI, parce que ce ne sont pas nos réseaux. Nous ne nous y retrouvons pas, déplore encore Jean-Baptiste David. Ils ne nous comprennent pas vraiment. Aussi nous restons entre nous. »

Annecy French Tech

Annecy a tenté en solo en 2015 la labellisation French Tech. Début 2016, la tendance est à un rapprochement avec Digital Grenoble.

Jusque tout récemment. En 2014, en effet, la filière numérique des Pays de Savoie a trouvé sa bannière rassembleuse, avec la création du label French Tech par le gouvernement. Ce label « nous a paradoxalement réunis, alors qu'il visait d'abord à labelliser des métropoles », constate Jean-Baptiste-David. Il aura donc fallu une initiative parisienne pour que les entreprises locales du numérique suscitent l'intérêt de « l'ancienne économie » et des élus.

« Il est effectivement difficile de faire émerger des démarches nouvelles tant que les politiques n'ont pas pris conscience de l'enjeu », acquiesce l'entrepreneur du numérique.

En Pays de Savoie, la filière numérique s'est rassemblée en septembre 2014, à Annecy, pour fonder les « Vallées du numérique », puis en janvier 2015, à Alpespace (Savoie), pour lancer « Digital Savoie ». Dans les deux cas, les agglomérations - Annecy et Chambéry - ont elles-mêmes donné le coup d'envoi. Début 2016, la tendance est à un rapprochement des deux entités avec la voisine Digital Grenoble, la seule association labellisée, dans le sillon alpin, sous la bannière French Tech in the Alps. Annecy a tenté la labellisation en solo en 2015, mais sans succès. Digital Savoie est moins avancée. L'association de 90 membres a connu un début plutôt calme. « La première année a été celle de l'évangélisation », résume Dominique Favario, président de Savoie Mont Blanc Angels et l'un des initiateurs de l'association savoyarde. Mais Jean-Baptiste David, aujourd'hui vice-président de Digital Savoie, observe tout de même le chemin parcouru durant cet intervalle : « Aujourd'hui, ce sont eux (les organismes professionnels classiques, NDLR) qui sont demandeurs et viennent nous chercher. »

Savoir vers qui se tourner

Pour de nombreux entrepreneurs, se faire connaître prend du temps et demande de l'énergie pour trouver son chemin parmi l'ensemble des organismes de soutien auxquels ils peuvent s'adresser. Dans ce paradis de l'industrie touristique, même les entreprises du secteur peuvent être déroutées. Ainsi, jusqu'en 2015, les entrepreneurs du secteur de la saisonnalité ne pouvaient pas s'adresser au Réseau Entreprendre de Savoie. « Auparavant, notre culture était très industrielle », justifie Frédéric Danquigny, directeur du réseau, depuis ouvert au secteur du tourisme qui doit relever des défis entrepreneuriaux majeurs. Des dizaines d'établissements hôteliers et de restaurants cherchent en effet des repreneurs dans le département.

« Il est difficile pour un chef d'entreprise de se retrouver parmi les structures existantes, reconnaît Dominique Favario. Un éclaircissement doit être engagé. Chaque collectivité a créé ses propres outils, mais encore faut-il améliorer leur lisibilité. Et surtout, réaliser des fusions. »

Cette identification est d'autant plus impérieuse avec l'union des régions Auvergne et Rhône-Alpes, selon Dominique Favario.

« Si la compétence économique relève de la Région, des relais locaux seront nécessaires. Mais quels seront-ils ? L'Agglomération ? Une agence économique comme celle qui existe en Savoie, mais pas en Haute-Savoie ? Le Centre régional d'innovation et de transfert de technologie (Critt) en Savoie et Thésame en Haute-Savoie, avec leurs historiques territoriaux respectifs ? Une structure de développement sur chaque secteur ? », interroge-t-il.

« Un guichet unique serait intéressant, répond Arnaud Busquet, président d'Initiative Grand Annecy et directeur général de Bureau Alpes-Contrôles, car il susciterait un effet d'entonnoir. Il présenterait toutes les aides existantes, de la part de tous les organismes. Aujourd'hui, nous sommes complémentaires, mais tous un peu éclatés. » « Un guichet unique ? Dans un monde idéal, oui. Cela ne devrait pas être très compliqué », avance à demi-mot Dominique Favario.

Réseau entreprendre Savoie

Le Réseau Entreprendre de Savoie ne s'est ouvert au secteur du tourisme qu'en 2015.

En finir avec la compétition

Du côté institutionnel, l'efficience se situe parfois au bout d'un parcours suivi bon gré mal gré. À la chambre de commerce et d'industrie de la Haute-Savoie, on se rappelle encore des mesures d'austérité que le gouvernement a prises fin 2014. « Il existe une volonté avérée de mettre les CCI à genou », critiquait Guy Métral, président de la chambre consulaire, tout en se disant prêt à contribuer à l'effort de redressement du pays.

La CCI annonçait notamment la fermeture d'antennes décentralisées dans le Genevois, le Chablais et dans la vallée de l'Arve. Un an plus tard, Guy Métral appelle les différents organismes de soutien aux entreprises à travailler ensemble. « Peu importe le leadership, peu importe qui est sur la photo dans le journal, affirme-t-il, avant de reconnaître « l'esprit de compétition » existant entre les différents organismes de soutien aux entreprises. Mais ce temps est révolu assure-t-il : « La complémentarité est devenue indispensable entre les acteurs, en raison de la raréfaction des fonds publics. »

Et si la complémentarité se traduisait aussi entre le phare économique qu'est le tourisme et les autres secteurs économiques ? En charge depuis 2006 de la promotion du tourisme des deux départements par l'Assemblée des Pays de Savoie − l'établissement public qui réunit les deux conseils départementaux −, Savoie Mont Blanc Tourisme a acquis une puissance certaine en matière de marketing.

« Nous touchons chaque semaine plus d'un million de personnes, et même presque deux millions à travers les réseaux sociaux », indique Côme Vermersch, directeur général de SMBT.

Or, SMBT veut franchir une nouvelle étape à l'occasion de son dixième anniversaire. « Nous devons élargir nos champs d'action avec une politique globale d'attractivité plus efficace. » Parmi les rapprochements possibles, il cite la convergence entre le tourisme et l'agriculture. « Nous disposons, avec le monde agricole, de nombreux programmes de promotion communs. » Pour le directeur général de SMBT, les Pays de Savoie doivent se doter des mêmes outils que les grandes agglomérations. « Les métropoles sont à la pointe dans ce domaine parce que leurs acteurs sont davantage concentrés », explique-t-il.

Parmi ces outils figure le réseau d'ambassadeurs ONLYLYON, marque créée pour améliorer la notoriété internationale de la métropole lyonnaise. L'idée pourrait faire des émules en terres savoyardes, où le sentiment d'appartenance est prégnant. Les velléités existent. Les potentialités sont nombreuses. Restent à les fédérer pour ne pas brouiller durablement l'image des Pays de Savoie.

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