Évian-Thonon-Gaillard Football Club : La descente aux enfers

Un an après être sorti de l'élite du football français, l'Évian-Thonon-Gaillard Football Club, présidé par le discret homme d'affaires suisse Esfandiar Bakhtiar, poursuit sa plongée dans les profondeurs du classement de Ligue 2. Il ne reste qu'un match - ce vendredi contre Nîmes - au club, gangréné par de profondes vicissitudes internes, pour espérer son maintien et demeurer dans le football professionnel. L'ETG FC : des cimes aux abîmes ?
Esfandiar Bakhtiar, discret actionnaire majoritaire et président du club gardera-t-il la main sur l'entité en cas de descente du club ?

Seul représentant du football professionnel des Pays de Savoie, l'Évian-Thonon-Gaillard Football Club (ETG FC) était à l'origine un club familial, tant la famille Dupraz a animé son développement. Il est issu de la fusion de plusieurs entités du Chablais (Ville-la-Grand, Gaillard et Thonon-les-Bains), comme il est devenu monnaie courante pour permettre aux clubs sportifs de se donner davantage de moyens et d'ambitions.

Des actionnaires prestigieux : Danone, Zidane...

Ce club a été mis sur orbite professionnelle par une multinationale, Danone, via sa filiale de la Société des eaux d'Évian, donnant sa couleur rose au maillot, couleur qu'aucun club français n'avait endossée jusque-là. Il a compté pour actionnaires des joueurs prestigieux, tels Zinedine Zidane ou Bixente Lizarazu. Mais également, en tant qu'actionnaire et sponsor, un futur candidat à l'élection présidentielle de 2017 en la personne du controversé et clivant Yves Bontaz, industriel de la vallée de l'Arve qui a fait fortune dans la sous-traitance automobile, qui s'était également déclaré en 2007 et en 2012, avant d'abandonner en cours de route.

Ce club est aussi un club sans stade, qui doit louer le parc des sports d'Annecy, situé à 80 kilomètres de son centre d'entraînement du Domaine de Blonay, à Publier, sur la rive sud du lac Léman. Enfin, niché au cœur des Alpes françaises, l'ETG FC est un club dont le sponsor maillot, MSC Croisières, est une société de croisières sur les mers du globe, propriété du deuxième armateur de la planète, Mediterranean Shipping Company, installé en Suisse. Pays où se joue désormais l'avenir du club haut-savoyard puisque c'est à Genève que vit Esfandiar Bakhtiar, son président, depuis près d'un an. Voilà pour la photographie générale.

La "maison familiale" des Riboud

En détail, elle porte son focus sur Esfandiar Bakhtiar, qui a surgi sur la scène l'an dernier et est lié au club depuis sa mise sur rails. En 2008, Franck Riboud, PDG du groupe Danone jusqu'en 2014 (et désormais président du conseil d'administration), propriétaire de la Société des Eaux d'Évian (qui emploie 1 400 personnes dans le Chablais), offre la présidence à Patrick Trotignon. Sa mission consiste à structurer le club, qui évolue en National, plus haut niveau du football amateur en France. Ce dernier venait alors d'œuvrer successivement dans les clubs de la Berrichonne de Châteauroux, puis du Servette de Genève, de l'autre côté du lac Léman.

« Franck Riboud voulait un vrai projet pour aider les jeunes du Chablais, parce que pour la famille Riboud, Évian, c'est la maison familiale, explique Marc Francina, député-maire Les Républicains de la ville d'Évian-les-Bains. C'est sa famille qui a refait l'hôtel Royal, les thermes, et lancé le master de golf. »

Franck Riboud

Franck Riboud, PDG du groupe Danone jusqu'en 2014, et longtemps fidèle soutien de l'ETG

Le projet de Franck Riboud atteint son apogée cinq ans plus tard, avec l'inauguration du centre d'entraînement et de formation du Domaine de Blonay, installé sur six hectares, à deux pas d'Évian.

« Nous sommes devenus un vrai club professionnel », se félicite Patrick Trotignon, président de l'ETG FC, lors de l'inauguration en décembre 2013.

Danone verse alors annuellement 3,5 millions d'euros, dont un million pour l'équipe professionnelle, et 2,5 millions à la section chargée de la formation. Six mois avant l'inauguration du Domaine du Blonay, le club a même connu son heure de gloire au Stade de France, en disputant la finale de la Coupe de France face aux Girondins de Bordeaux. Le club haut-savoyard s'était incliné trois buts à deux, mais sa participation à la finale avait sonné comme une reconnaissance dans le football français.

La même année, les dirigeants menaient campagne pour obtenir la construction d'un stade. Le débat consistait alors à trancher entre la réalisation de travaux au parc des sports d'Annecy ou l'édification d'une nouvelle enceinte.

Conflit d'actionnaires

« C'est après que cela s'est gâté, relate Marc Francina. Franck Riboud aurait souhaité ouvrir le capital pour le répartir au sein d'un regroupement d'actionnaires. Mais cela ne s'est pas fait. »

Les deux actionnaires principaux, Esfandiar Bakhtiar et Richard Tumbach, patron de Trigenium, une entreprise d'Annecy spécialisée dans la gestion des déchets, refusent de céder le contrôle. Les deux hommes d'affaires étaient devenus majoritaires presque par hasard, pour une mise totale de 580 000 euros.

"Quand le tour de table a commencé pour trouver des financements pour le club, Franck Riboud n'a pas obtenu les retours espérés. Mais il y avait ces deux types qui étaient prêts à mettre de l'argent", affirme l'un des actionnaires, cité à l'époque par l'hebdomadaire local Le Messager.

Une fois le club installé en Ligue 1, le duo n'entend pas laisser la place à de nouveaux entrants. Les rapports se tendent et se distendent entre les partisans de Franck Riboud et le duo Bakhtiar - Tumbach, détenteurs respectivement de 42 % et de 16 % du capital de Haute-Savoie Football Développement (HSFD), la holding du club.

Selon les partisans de Franck Riboud, un pacte tacite avait été conclu, mais faute de pacte formel d'actionnaires, les majoritaires sont restés en position de force. Trois semaines exactement après que l'ETG FC ait fêté son tout nouveau centre d'entraînement, Patrick Trotignon est débarqué du club.

L'ETG FC attaquera par la suite son ancien président à hauteur de six millions d'euros, l'accusant de fautes graves de gestion. Lui-même réclamera 1,5 million d'euros au club au titre de dommages et intérêts pour préjudice moral. En mars 2014, trois mois après l'éviction de Patrick Trotignon, que le duo Bakhtiar-Tumbach remplace par Joël Lopez, Franck Riboud décide le retrait progressif du groupe Danone de la structure. Le sponsoring de l'équipe professionnelle est abandonné, mais la multinationale s'engage à maintenir son soutien à la section amateur jusqu'en 2017. Le groupe n'était lui-même pas actionnaire du club.

Julian Dupraz (à gauche), directeur des services du club, Pascal Dupraz, son père, entraineur et directeur sportif, et Patrick Trotignon, président, ont tous été débarqués par le duo Bakhtiar - Tumbach entre 2014 et 2015.

Le départ des historiques

Entre-temps, Esfandiar Bakhtiar et Richard Tumbach rachètent les parts de 34 autres actionnaires, arrivés au club avec Franck Riboud, contre un chèque d'un montant de 1,8 million d'euros, portant leurs parts respectives du capital à 52 % et 23,5 %. Zinedine Zidane, Bixente Lizarazu et Michel Denisot - l'homme qui avait présenté Patrick Trotignon à Franck Riboud - font partie des actionnaires vendeurs.

En juin 2015, l'ETG FC est relégué en Ligue 2. Il se sépare de son entraîneur emblématique, Pascal Dupraz. Celui qui avait alterné les postes de directeur sportif et d'entraîneur du club depuis les années 1990 - lorsque l'équipe jouait dans les profondeurs du football amateur - est licencié pour faute grave en juin 2015.

Son fils Julian, directeur des services du club, est évincé à son tour pour le même motif. Les deux hommes, fils et petit-fils de Jo Dupraz, un des piliers de l'histoire de l'ETG FC, sont accusés d'avoir imité la signature du président Joël Lopez sur certains documents. Lequel Joël Lopez, niant toute falsification de sa propre signature, est aussi écarté à l'intersaison 2015. Le père et le fils Dupraz mènent le club aux prud'hommes. À ce jour, aucune de ces poursuites n'a encore été jugée.

Après avoir écarté Joël Lopez, Esfandiar Bakhtiar prend la présidence du club à titre temporaire. Hormis le nouveau président et son associé Richard Tumbach, les principaux acteurs de l'évolution du club ont quitté l'ETG FC.

« Depuis qu'ils sont tous partis, j'essaie désespérément de contacter quelqu'un, mais personne ne répond, témoigne Jean-Louis Romero, un agent de joueurs actif depuis 18 ans dans le football professionnel, et basé en Haute-Savoie. Il faudrait que je voie le président parce que visiblement personne d'autre que lui ne s'occupe de transfert, mais il ne me semble pas à demeure au club. »

En effet, Esfandiar Bakhtiar revendique une discrétion certaine. Mais pour Acteurs de l'économie-La Tribune, il a accepté de lever le voile, un peu sur lui, et surtout sur sa vision de l'avenir du club.

Un trader discret

Né en mai 1959 à Téhéran, l'homme d'affaires est le neveu de l'ancien Premier ministre iranien Chapour Bakhtiar, assassiné en 1991. « Mes parents ont quitté l'Iran au début des années 1960 pour venir s'installer en Suisse », confie-t-il. Esfandiar Bakhtiar est alors naturalisé helvète. Il fera toute sa scolarité et ses études universitaires à Genève, où il réside actuellement.

« Professionnellement, je travaille dans le secteur du trading pétrolier », indique le président du club de football qui ne s'étendra pas davantage.

« Ma personnalité, mon éducation et ma culture m'amènent à considérer que la discrétion est non seulement une règle, mais aussi un mode de vie et que cette discrétion ne relève pas d'une volonté de cacher quoi que ce soit d'inavouable, assure-t-il. Les valeurs de discrétion et d'humilité portées par les Savoyards, je les fais miennes : personne ne pourra me faire le reproche de parler inutilement et de truster la une des journaux. »

En Suisse, Esfandiar Bakhtiar est surtout connu pour avoir créé, en 1981, la société Jaraco SA, radiée en 1995 du registre du commerce du canton de Genève. « En 2004, le Trésor américain a identifié Jaraco comme un intermédiaire majeur de blanchiment d'argent pour les milliards de Saddam Hussein », mentionne le média américain Bloomberg, en juillet 2005, dans l'article The Rich Boys. Esfandiar Bakhtiar et son frère Bahman y sont décrits comme des proches de l'ancien dictateur irakien.

L'irruption de l'homme d'affaires dans le football français date d'un séjour à l'île Maurice, durant lequel il fait la connaissance de Luis Fernandez, avec qui il se lie d'amitié. L'ancien milieu de terrain international l'introduit dans le milieu du football professionnel, notamment à l'AS Saint-Étienne, dont Esfandiar Bakhtiar deviendra administrateur durant deux ans.

Objectif Ligue 1

Esfandiar Bakhtiar est désormais en première ligne depuis qu'il a pris la présidence de l'ETG FG, en plus d'être propriétaire de la majorité de son capital. Son objectif prioritaire étant actuellement d'assurer avant tout le maintien en Ligue 2 de son club. Face à ce défi, il réaffirme son soutien à l'entraîneur Romain Revelli, qui a succédé en cours de saison à l'ancien joueur du PSG Safet Susic à la tête de l'équipe professionnelle.

Si le club a le bonheur de conserver sa place en deuxième division, son président assure que « la remontée en Ligue 1 reste un objectif des cinq ans à venir ». Pour cela, le président compte s'appuyer sur le rapprochement du club avec le public, les jeunes des écoles de football, les clubs amateurs et les entreprises.

« Nous voulons devenir un exemple en matière de formation et d'éducation : les joueurs de l'ETG, les professionnels comme ceux du centre de formation, doivent porter les valeurs savoyardes qui sont basées sur la discrétion, le travail, l'humilité, l'ambition, et même faire preuve d'une certaine audace. Le club n'a pas vocation à défrayer la chronique des faits divers », décrit Esfandiar Bakhtiar.

Le président a ainsi l'idée de club citoyen, si chère à Franck Riboud, quand celui-ci lui avait donné son élan fondateur. Mais l'avenir de l'ETG FC ne pourra pas seulement s'appuyer sur ces valeurs.

Question budgétaire

« Dans le football encore plus qu'ailleurs, l'argent est le nerf de la guerre », souligne Marc Francina. Le budget du club est passé, en un an, de 29 millions d'euros lorsqu'il évoluait en Ligue 1 à une fourchette prévue entre huit et dix millions d'euros la saison prochaine, précise Esfandiar Bakhtiar. Il affirme ne pas craindre le passage du club, en fin de saison, devant la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) de la Ligue de football professionnel (LFP). Il faut dire que la descente en Ligue 2 et les conflits entre actionnaires ont eu un impact terrible pour les comptes du club.

« Une descente est une véritable souffrance. Tant sur le plan sportif que sur le plan humain », souligne Erick Garcia, directeur commercial et marketing de l'ETG FC. Avec la descente en deuxième division, les droits TV de 13 millions d'euros ont diminué de moitié. Le club a perdu 65 de ses 170 sponsors, provoquant une chute des recettes publicitaires, passées de 4,8 à 2,5 millions d'euros. Il doit en outre faire face à une baisse du nombre d'abonnés, de 3 800 à 1 400 en un an.

« Ces chiffres sont aussi la conséquence des conflits que connaît l'ETG depuis plusieurs saisons, confirme Erick Garcia. C'est très clairement le retour que nous opposent bon nombre de partenaires qui ne souhaitent pas associer leur image à une communication aussi destructrice. »

Club à vendre ?

Destruction, le mot illustre les trois années écoulées depuis la finale de la Coupe de France en mai 2013. Comment le club va-t-il se reconstruire désormais, pour atteindre l'objectif affiché par son président de retrouver l'élite du football professionnel d'ici à 2021 ?

« Nous n'avons pas de nouveaux sponsors en vue, lâche Erick Garcia. Notre volonté est de récupérer nos anciens partenaires. »

Anciens partenaires signifie-t-il anciens sponsors ou anciens actionnaires ?

« Oui, nous sommes à la recherche de nouveaux actionnaires, confirme Esfandiar Bakhtiar. Tout dépendra des moyens que ces nouveaux investisseurs voudront mettre à disposition du club. L'ensemble des actionnaires de HSFD et des membres du conseil d'administration sont ouverts à étudier toute opportunité. »

Du neuf avec le passé ?

« Nous sommes les premiers à considérer que la manière dont Danone a quitté le sponsoring de l'équipe professionnelle est un véritable gâchis, pointe Esfandiar Bakhtiar. Il est trop tard pour se lamenter et pour se rejeter les responsabilités, mais il n'est jamais trop tard pour se reparler. D'une manière générale, tout actionnaire et sponsor est le bienvenu à partir du moment où sa participation s'inscrit dans le projet du club : faire de l'ETG un club citoyen, exemplaire. »

Et l'opération de séduction auprès des anciens partenaires a déjà commencé, à en croire les propos du troisième actionnaire de l'ETG FC, Yves Bontaz, qui détient 15 % du capital.

Propriétaire de Bontaz Centre, un sous-traitant automobile de la vallée de l'Arve, il est aussi un sponsor de l'équipe professionnelle du club. L'homme d'affaires, aujourd'hui à la retraite, dit avoir reçu les deux principaux actionnaires du club au mois de février, qui venaient sinon chercher des fonds, au moins un cautionnement. Mais Yves Bontaz a refusé.

« Je propose 1,5 million d'euros pour devenir majoritaire, avance Yves Bontaz. Et une fois que je commanderai, j'ouvrirai le capital. »

Il soutient qu'il fait partie d'un groupe de douze chefs d'entreprises de la région prêts à investir pour « acheter deux ou trois grands joueurs ». Coup de bluff ? Tentative de déstabilisation ? La proposition a-t-elle une chance de se concrétiser ?

« Je ne me vois personnellement aucun avenir (à la tête du club, NDLR), car seul l'avenir du club m'intéresse. Avec ou sans moi à sa tête », affirme Esfandiar Bakhtiar.

En attendant une éventuelle recomposition de l'actionnariat, les yeux sont tournés sur le calendrier de Ligue 2. Ce vendredi 13 mai, au parc des sports d'Annecy, l'Évian-Thonon-Gaillard Football Club reçoit le Nîmes Olympique pour la dernière journée du championnat. Le match sera décisif. Au coup de sifflet final, l'ETGFC saura s'il demeure en Ligue 2, avec l'espoir de renouer avec les succès passés ou s'il est relégué en National, replongeant dans le football amateur, six ans après l'avoir quitté.

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