Finance durable : en investissant 6,4 millions dans Xefi, le fonds Geneo essaime le modèle de « l’evergreen »

EXCLUSIF. Elle vient d'investir près de 6,4 millions d’euros d’obligations relance, au sein de la société lyonnaise de services numériques de proximité, Xefi. Fanny Letier, l’ex-numéro deux de Bpifrance, a choisi d'aider les petites et moyennes entreprises à « doubler de taille » en créant un outil de capital investissement Geneo. Elle revient, en exclusivité avec La Tribune, sur ce dernier investissement qui reflète bien le cœur de son modèle de l’evergreen (finance durable), avec la gestion d'un portefeuille près de 600 millions d'euros qui passe au crible quatre critères : la maitrise du temps, le capital humain, le partage de la valeur et la volonté d'avoir un impact positif.
La RSE ne consiste pas uniquement à limiter les externalités négatives, rappelle Fanny Letier, cofondatrice de Geneo, qui souhaite également remettre au centre des critères d'investissements la notion de gouvernance, comme lieu d'anticipation de tous les sujets et de toutes les crises.
"La RSE ne consiste pas uniquement à limiter les externalités négatives", rappelle Fanny Letier, cofondatrice de Geneo, qui souhaite également remettre au centre des critères d'investissements la notion de gouvernance, comme "lieu d'anticipation de tous les sujets" et de toutes les crises. (Crédits : DR/Geneo/Nathalie Oundjian)

LA TRIBUNE - Vous êtes issue d'un parcours de haut fonctionnaire, avec la direction générale du Trésor et un passage en tant que numéro deux de Bpifrance, avant de devenir administratrice de plusieurs sociétés (Biomérieux, ADP ou Nexans) et de cofonder le fonds de l'evergreen (ou de "private equity dit durable") Geneo : pour quelle raison ?

FANNY LETIER - Je suis originaire du Nord-Pas-de-Calais et j'ai toujours souhaité contribuer à l'intérêt général de mon pays, à travers la création d'emplois. J'ai été assez marquée, dans mon enfance, par les conséquences sociales d'un chômage très élevé dans ma région et qui a fait monter très tôt le Front national.

C'est ce qui a justifié mon début de carrière dans la fonction publique : j'ai commencé ma carrière au ministère des Finances, à la direction du Trésor et progressivement, j'ai compris toute l'importance du tissu de PME françaises qui sont la principale source de création d'emplois.

Car entre 2009 et 2016, ce sont les PME qui ont créé près de 355.000 emplois pendant que les grands groupes en détruisaient 90.000 et que finalement, les startups demeuraient plutôt un sujet d'innovation, que de créations d'emplois.

Déjà, lors de la crise financière de 2008 où vous étiez à Bercy, vous aviez constaté la nécessité d'avoir d'un côté des financiers à long terme aidant à passer les crises, et de l'autre, des entrepreneurs qui aient plus de capital humain ? Votre diagnostic a été le même lors de la période Covid ?

Il y a eu la crise de 2008, que j'ai d'abord gérée depuis Bruxelles à l'occasion de la présidence tournante de l'Union européenne, avec toutes les questions de stabilité financière, et de relance de l'activité que cela posait.

Ensuite, en 2009, j'ai pris la direction du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), où je me suis retrouvée à nouveau directement à côté d'entrepreneurs, ce qui est très rare dans l'administration, afin de les aider à trouver des solutions de restructuration financière mais aussi opérationnelles et de repositionnement stratégique.

Il m'a fallu emmener tout le monde les banques, les clients, les fournisseurs, les actionnaires, les salariés, les dirigeants dans une même direction, et trouver des accords à l'unanimité pour finalement permettre de construire un plan de rebond. Avec la nécessité d'apporter non seulement du capital financier, mais aussi du capital humain.

C'est un petit peu la même chose que lors de la période de la crise sanitaire ?

Ces constats sont en effet toujours valables, même si les problématiques sociétales sont aujourd'hui plus aiguës qu'en 2008, où la crise était avant tout d'origine financière. Car si l'on veut effectivement avoir des entreprises résilientes et faire de la croissance durable, la gouvernance est un sujet clé, car c'est le lieu d'anticipation de tous les sujets.

Or bien souvent, les difficultés proviennent des problèmes de transmission trop tardives, d'innovation ou de disruption que l'on n'a pas vu arriver, de grogne sociale que l'on n'a pas vu monter, ou de problèmes opérationnels qui finissent par provoquer des ruptures dans la chaîne... mais un dirigeant seul ne peut rien, car sa principale qualité est justement de savoir s'entourer du bon comité de direction et des compétences au bon endroit.

Et si l'on ne veut pas être seul, il faut savoir partager la croissance avec ses salariés, avec l'ensemble des parties prenantes. Nous pouvons encore prendre un temps d'avance et bâtir en Europe des leaders mondiaux, en construisant des produits, des services, des procédés, des business models qui vont répondre à ces besoins sociétaux.

Le contexte énergétique très compliqué peut-il être un frein à cette tendance ?

Le problème avec l'énergie, c'est qu'on se retrouve avec un choc de compétitivité assymétrique au niveau mondial : suivant les pays, son impact est plus ou moins fort, et il l'est tout particulièrement en France.

Il est donc certain qu'aujourd'hui, l'énergie est devenue un sujet majeur à l'agenda, à la fois politique mais aussi, pour les chefs d'entreprises qui travaillent sur leur performance énergétique, sur le développement de l'autoconsommation à travers les énergies renouvelables.

Geneo investit en général dans des sociétés de niche, qui sont directement dans un univers concurrentiel mondial, mais qui sont aussi proactives, sans attendre que l'environnement évolue dans un sens favorable, en prenant le taureau par les cornes.

Geneo s'est spécialisé dans la finance dite positive, avec notamment trois véhicules d'investissement. Ils fonctionnent aujourd'hui sur quel principe ?

Nous avons créé, avec François Rivolier, Geneo autour du concept de « capital entrepreneur », qui est un mélange de private equity, conseil et réseau business, avec près de 200 entrepreneurs et familles issues de l'entrepreneuriat. La promesse, c'est celle de la finance positive, qui apporte de la croissance durable.

Cela suppose quatre piliers : à commencer par la maîtrise du temps, avec la capacité de suivre l'entrepreneur dans son rythme naturel, mais aussi, d'apporter du capital humain avec du management de transition, du temps partagé, de la formation et de l'expérience. C'est aussi de partager de la valeur afin que lorsqu'on investit, cela puisse bénéficier à l'ensemble des parties prenantes et du territoire (avec de l'intéressement, de la participation, de l'actionnariat salarié...). Enfin, c'est aussi de le faire avec un impact positif, car la RSE ne consiste pas uniquement à limiter les externalités négatives : il faut immédiatement générer des innovations dont on a besoin pour faire autrement.

Quelle place et perspectives peut prendre la finance responsable au sein de l'éventail des financements des TPE/PME ? Vous avez pu investir quel montant jusqu'ici ?

Au total, nous gérons aujourd'hui 600 millions d'euros à travers trois véhicules : un premier qui est une société d'investissement de l'evergreen, qui a déjà déployé plus de 220 millions d'euros dans 18 sociétés à croissance très forte, organique ou externe. Nos dix premières sociétés investies ont mené 27 acquisitions, essentiellement internationales. Ce véhicule est essentiellement financé par des family offices et a connu beaucoup d'échos à Lyon.

Ensuite, nous cogérons ensuite, avec Turenne Capital, une poche d'obligations relance de 120 millions d'euros afin d'outiller les PME et TPE à rester compétitives au niveau français et international, même dans des temps plus compliqués.

Enfin, notre troisième véhicule, qui vient d'être lancé, est destiné aux entreprises qui n'ont pas envie d'ouvrir leur capital parce qu'elles sont patrimoniales, familiales, mais qui ont besoin d'être accompagnées sur les sujets de croissance externe, digitale et d'impact. Nous leur proposons un instrument en quasi fonds propres, afin de renforcer le haut de bilan et d'avoir un effet d'entraînement sur la dette.

Nous avons réalisé à travers ce véhicule un premier closing autour de 100 millions et nous visons les 200 millions.

Quels publics cibles, que ce soit du côté des épargnants mais aussi des entreprises ?

On ne vient pas dans la communauté Geneo par hasard. Qu'on soit investisseur ou société investie, on partage les valeurs de notre raison d'être : la maitrise du temps, le capital humain, le partage de la valeur et la volonté d'avoir un impact positif.

Il n'y a pas d'un côté les fonds demandés au niveau de la performance et de l'autre, les fonds d'impact qui doivent être à l'équilibre ou qui vont générer de la perte.

D'ailleurs, plus de 50 % des fonds propres sont apportés par des family offices sont généralement issus d'une aventure entrepreneuriale réussie. On a aussi bien des grandes familles que tout le monde admire, comme Alain Mérieux ou la famille Peugeot, que d'autres moins connues mais qui ont réussi dans l'entrepreneuriat comme les crèches Babilou.

Nous en avons une quarantaine à Lyon, aux côtés desquels sont venus se greffer des assureurs comme Covéa et MACSF.

Vous dévoilez ce jour un investissement de 6,4 millions en obligations relance au sein de l'ESN lyonnaise Xefi : quelle était la nature du projet et  comment sélectionnez-vous les entreprises dans lesquelles vous investissez ? (Pour rappel, le fonds obligations relance, souscrit par 19 assureurs membres de France Assureurs et la Caisse des Dépôts, est doté de 1,7 milliard d'euros et permet de financer les PME-ETI touchées par la crise sanitaire, qui investissent dans leur développement et leur transformation, ndlr).

Nous avons d'abord perçu avec Xefi une vraie convergence de culture car il s'agit d'une société très implantée régionalement, mais qui s'étend sur le territoire, avec un vrai pôle d'excellence dans son domaine, et l'objectif d'en faire le leader dans les services de proximité pour les TPE/PME.

Xefi a fait le choix de se spécialiser pour ce type de clientèle, qui n'était pas forcément bien servie au départ, avec une offre très différenciante et des fournisseurs intégrés.

Cette enveloppe va notamment lui permettre de financer de la croissance externe avec, à la fois, une extension géographique et une extension de son offre. Son équipe est notamment en train de développer une solution, Green Optimizer, qui va lui permettre d'améliorer aussi l'empreinte carbone de ses clients.

L'un des aspects qui nous a intéressés, c'est aussi que Xefi opère également ses propres datacenters avec une notion d'indépendance de la donnée, qui constitue un point stratégique et différenciant de son offre. Il est très important de pouvoir jouer sur le court, le moyen et le long terme, et c'est ce qu'ont permis plus globalement ces obligations relance et cet investissement.

Quelle place tient Auvergne Rhône-Alpes au sein de votre stratégie d'investissement ?

Auvergne-Rhône-Alpes est un territoire magnifique lorsqu'on parle de capital entrepreneur, et d'entreprises positionnées sur des niches avec des visions de long terme, mais qui sont aussi très tournées vers l'international, préoccupées par l'humain et leurs territoires.

C'est l'une des régions dans lesquelles Geneo a eu, dès le départ, un fort écho avec une quarantaine d'investisseurs, qui rayonnent jusqu'en Bourgogne Franche-Comté. L'an dernier, 40 % des dossiers où l'on a investi nous ont été apportés par une famille actionnaire familiale.

Nous avons eu par exemple Delta Service Location, ou encore Otego, une PME qui faisait partie d'un groupe américain et dont on a organisé la sortie pour qu'elle retrouve son indépendance pour réaliser à nouveau de la croissance externe. Et cela, dans le domaine du textile technique, qui intervient dans les équipements de protection de la chaleur mais aussi la fabrication des pneus, les patchs de protection pour les moteurs de Safran ou les imprimantes 3D...

On constate qu'au sein d'une région très industrielle comme Auvergne-Rhône-Alpes justement, certains projets se perdent toutefois faute de dirigeants ou de projets portés par une équipe expérimentée. Je pense par exemple au fabricant de panneaux solaires Photowatt (pour l'heure propriété d'EDF), au fabricant de silicium Ferropem dont le site savoyard a finalement fermé ses portes... Avez-vous été approché, ou vous a-t-on parlé de ces dossiers ?

Globalement, on peut avoir aujourd'hui des entreprises qui sont à la tête de beaux actifs industriels, mais qui sont parfois sans viabilité économique, ou qui manquent de dirigeants. En général, nous abordons ces dossiers plutôt par le spectre de la croissance externe.

Il faut dire que dans la période actuelle, il y aura forcément des gagnants et des perdants : lorsque nous investissons nous-mêmes dans une société, c'est parce que l'on pense qu'elle peut être une plateforme de consolidation pour son marché. Par principe, toutes les entreprises Geneo sont acheteuses. Mais ensuite, il faut trouver les bons sujets.

Mais en tout cas, on va, on va regarder des situations, y compris compliquées avec notre portefeuille d'entreprises en les accompagnant. Car même si le fait de reprendre une entreprise en difficulté peut faire peur, bien accompagnée et avec beaucoup de fonds propres, on peut faire des choses très intéressantes.

Comment voyez-vous les enjeux du private equity sur les mois à venir ?

Dans un monde qui est de plus en plus complexe, notre métier doit lui aussi se transformer pour participer à la création de valeur à long terme. Car les entrepreneurs nous attendent aujourd'hui sur des problématiques pas uniquement financières, mais aussi humaines, de gouvernance digitale, de réglementation internationale... Et il faut pouvoir briser la solitude du dirigeant.

La seconde chose à faire, c'est d'intégrer les problématiques d'impact, non pas comme quelque chose qu'il faut faire pour compenser nos effets négatifs, mais vraiment en le plaçant au cœur de la stratégie. Ce sont des investissements d'avenir qui peuvent nous permettre de reprendre du leadership en Europe et à l'international, à condition de mettre de l'investissement, et notamment du Capex et de la R&D.

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