Fagor Brandt : reconversion sous haute tension

La société d’innovation et de technologie de Lyon (SITL) du repreneur isérois Pierre Millet tire encore plus de 80 % de ses ressources de la sous-traitance de machines à laver. Elle doit maintenant véritablement prouver sa capacité à vivre de ses nouveaux produits.

C'est l'histoire d'une belle reconversion industrielle dont l'issue reste encore bien indécise. Dès 2005, les "Brandt" lyonnais avaient senti que l'avenir de leur établissement - qui employait plus de 2500 personnes sous l'ère Thomson dans la décennie 80 - était compromis. Cette année-là, la multinationale basque Fagor coiffée par la coopérative espagnole Mondragon venait d'acheter Brandt et leur annonçait le transfert de presses et d'une ligne de montage de lave-linges en Pologne ; sachant que l'israélien Elco, précédent propriétaire, aurait suivi la même stratégie et s'apprêtait, lui, à délocaliser en Roumanie. "La direction a tenté de nous rassurer, nous disant qu'il s'agissait de servir les marchés de l'Europe orientale. Nous n'étions pas dupes. L'écart entre les coûts de revient était de 1 à 6. Cinq ans plus tard, le couperet est tombé", se souvient Philippe Goguillot, délégué Sud et secrétaire du comité d'entreprise. Comble de malchance, le marché des lave-linges à chargement par le haut, spécialité de Gerland, perd du terrain au profit des machines à chargement frontal : "Secafi, l'expert que nous avions mandaté, nous l'avait confirmé", poursuit le syndicaliste. La CGT refuse, elle, ce verdict, parlant plutôt de produits parvenus à maturité. C'est alors que Pierre Millet, ancien cadre dirigeant de Thomson CSF et précédemment à la tête de Technitol, une tôlerie iséroise, est arrivé avec une idée plutôt belle sur le papier : devenir fournisseur de Fagor Brandt et reconvertir en douceur les salariés à de nouvelles activités, comme la fabrication de véhicules électriques utilitaires. "Le pire était à craindre quand Fagor Brandt nous a informés en novembre 2010 de sa décision de se séparer de l'usine lyonnaise. Le projet orchestré par Pierre Millet évitait la fermeture et nous l'avons soutenu", clame le délégué Sud. Différence de réaction de la CGT qui, d'emblée, a refusé cette externalisation : "Nous la combattons encore", martèle la déléguée. Deux ans après la reprise du 1er avril 2011, l'un et l'autre se disent inquiets, avec un peu plus d'optimisme pour Philippe Goguillot. Et, en ce lundi après-midi de début mars, il fait bien froid dans la salle de réunion du CE car le chauffage coûtant cher et les locaux étant grands, l'impératif est aux économies. Même constat une semaine plus tard dans le bureau de Pierre Millet. Autre preuve que les temps sont durs : pour la deuxième année successive, les salaires ne seront pas revalorisés : "Nous voulions 70 euros de plus par mois pour tous. Jérémy Choffat, le directeur général, nous a répondu que si tel état le cas, l'usine mettrait la clé sous la porte, sous trois mois. Les négociations ont été tendues", insiste Philippe Goguillot.

 

 

Des engagements de Fagor Brandt à la réalité

 

Aujourd'hui encore, le site se consacre principalement aux lave-linges : selon l'accord conclu avec SITL, Fagor Brandt s'était engagé à lui sous-traiter une quantité décroissante de machines jusqu'à avril 2015 : 210 000 unités la première année, puis 160 000, 100 000 et   50 000. De quoi assurer une transition en douceur afin que les nouvelles activités prennent la relève. La réalité en a décidé autrement. "Nous n'avons pas respecté les volumes l'an dernier en raison de la crise économique, mais nous avons assuré financièrement le différentiel portant sur quelques 30 000 machines", assure François-Michel Sissung, DRH de Fagor Brandt. Autres sueurs froides en janvier 2013, lorsque faute d'être payés les fournisseurs de Fagor Brandt cessent leurs approvisionnements si bien que, par effet domino, SITL a dû interrompre ses chaines pendant dix jours. Cette impasse de trésorerie a été surmontée avec l'aide des pouvoirs publics qui ont rééchelonné le paiement de la TVA et des cotisations sociales dues par le groupe, pour un total de 16 millions d'euros. Parallèlement, et afin de dégager du cash, Fagor Brandt dit négocier des "lease back" sur ses cinq autres sites français dont il deviendra alors simple locataire : "Nous devrions aboutir d'ici à la fin du premier semestre", espère le DRH. Quant à Gerland, la moitié des onze hectares non occupés a été cédée au fonds Gingko, et "nous avons temporairement prêté le produit de cette vente [NDLR : 6,8 millions d'euros] à Pomofil, holding de tête de SITL", explique-t-il.

 

 

Ré-industrialisation plus laborieuse que prévu

 

Le report sur de nouvelles activités subit des contretemps. Le périmètre initial du tour de table associait trois autres entreprises, contraintes de jeter l'éponge, crise oblige. Quid des produits propres de SITL ? "Nous ne sommes qu'au début de la commercialisation et nous sommes vigilants", reconnaît Pierre Millet. En amont, "nous avons montré notre capacité à sortir notre véhicule électrique utilitaire et nos filtres pour le traitement et la purification de l'eau. 110 à 120 personnes travaillent déjà pour ces nouvelles activités". En attendant, les effectifs de SITL fondent doucement : 511 contrats de travail avaient été repris en avril 2011. Il restait 426 salariés début mars : la moyenne d'âge est élevée (192 ouvriers de plus de 50 ans) ainsi que le taux d'absentéisme (11% en 2012) causé, en particulier, par des troubles musculo-squelettiques. Quant à la cellule de R&D, dédiée au lave-linge Top, que Fagor Brandt a maintenue à Gerland, elle n'emploie plus aujourd'hui que 42 personnes, contre 67 il y a deux ans. "Nous avons peu de travail et nous intervenons surtout pour régler les problèmes de l'entité polonaise dont nous sommes un centre d'expertise éloigné. Jusqu'à quand? La logique aurait voulu que nous aidions le repreneur à développer et mettre au point ses produits", estime Paul Briglia, délégué CGT chez Fagor Brandt. Pour accompagner la reconversion professionnelle des employés de SITL, le groupe franco-hispanique a promis une enveloppe de 9 millions d'euros : à fin-mars près de 3,5 millions avaient été consommés pour des formations techniques ou générales (à l'économie d'une PME, etc.). S'ajoutent 900 000 euros (sur un montant de 3 millions) au titre de la GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et compétences), "surtout utilisés à faire partir des gens", déplore la déléguée Cgt. "Le deal est favorable à tout le monde, objecte Pierre Millet : pour le personnel qui a la possibilité de se former et de prendre un nouveau départ. Pour Fagor qui n'a pas eu à fermer le site. Et pour le chef d'entreprise que je suis".

 

 

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Commentaire 1
à écrit le 08/01/2016 à 21:16
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Le 08 janvier 2016- Ne pas publier, mon message à La tribune. Je cherche à rentrer un contact avec un journaliste et si possible avec aussi Denis LAFAY qui a écrit l'article de Février 2014: "Cenntro Motors France (Ex SITL) qui y croit encor...

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