Bruno Rousset, l'énigme

L’impressionnante réussite de son groupe, April, et sa science de l’organisation placent Bruno Rousset dans le cénacle des grands bâtisseurs. Mais l’unanimité sur l’entrepreneur trébuche une fois l’investigation orientée sur l’homme. En témoignent l’instabilité de l’équipe dirigeante, le virage opéré chez Evolem2, « l’affaire » Lyon Capitale. La personnalité sculptée par de proches collaborateurs, des patrons lyonnais, et des membres de la gouvernance d’April Group apparaît contrastée. Et troublante.
©Stéphane Audras/Rea

« Bruno Rousset est comme le soleil : il ne faut pas le côtoyer de trop près. Sinon on se brûle ». Cette confession d'un ancien dirigeant d'April synthétise la plupart des trente-six témoignages recueillis auprès de coreligionnaires, de participants au fonds Evolem2, de camarades de promotion du CPA, de membres actuels et passés de la gouvernance.Effectivement, l'appréciation de Bruno Rousset, fondateur du nouveau joyau de l'assurance, se lézarde proportionnellement à la proximité et au degré de responsabilité occupée par les témoins. Les études sur le climat social au sein du groupe sont positives. En écho, la stabilité significative du personnel, et une grande fierté d'appartenance si l'on en juge par les hommages publiés dans le livre commémoratif des « 15 ans » d'April.

L'image du créateur est enviable. Et fondée, notamment sur un système de rémunération responsabilisant, et sur des prédispositions sociales indiscutées. « Il y a quinze ans, alors que personne ne se préoccupait de discrimination ethnique, il fut l'un des premiers à embaucher sans aucune hésitation des personnes d'origine immigrée », se remémore un conseil en recrutement. Des assertions antithétiques de celles que confie la cohorte de cadres qui furent affectés à l'équipe dirigeante de Bruno Rousset. Turnover élevé, revirements douloureux, incompréhension, ressentiments, écœurement caractérisent leurs analyses.

La réputation resplendissante que Bruno Rousset a façonnée dans le sillage d'une communication appropriée et d'une trajectoire entrepreneuriale exceptionnelle, se craquelle. Tous opèrent une dichotomie : d'un côté l'entreprise et le bâtisseur plébiscités, de l'autre l'homme et le manager controversés. « On admire ce que l'homme fait, bien plus que ce qu'il est », résume un partenaire, dirigeant d'entreprise. Une distinction à laquelle se soustrait le cercle plus éloigné des observateurs et décideurs, aux yeux duquel le succès économique et la puissance financière plaident mécaniquement en faveur de la personnalité du géniteur et justifient l'absolution.

 

Humiliation

 

En vrac : tel banquier, au moment de finaliser son contrat d'embauche, se voit signifier un refus « au motif que les autres cadres dirigeants n'approuvent pas sa candidature ». Tel futur président de filiale, après qu'il ait établi avec Bruno Rousset une stratégie pour écarter l'occupant, fortement contesté, du poste, assiste à une volte-face en conseil d'administration et à son éviction, publique, orchestrée par les ... deux interlocuteurs, désormais ligués. Ceci après qu'il avait accepté, quelques jours plus tôt, d'abandonner ses autres engagements professionnels pour se consacrer exclusivement à sa nouvelle fonction.

Son anéantissement, il tentera quelques heures plus tard de l'apaiser sur le parvis de la gare de la Part-Dieu où, prostré, lui qui n'avait jamais fumé consume à la chaine une dizaine de cigarettes. Tels dirigeants sont renvoyés « sans explication ». Tel concurrent, courtisé, démissionne de son poste pour rejoindre April. « Le jour de son arrivée, on lui annonce qu'il n'a plus sa place », rapporte l'un de ses proches parents. Tels présidents de filiale ont engagé des procédures devant les tribunaux pour obtenir le « respect des engagements » qui assuraient leurs périmètres d'intervention et/ou leurs conditions de sortie. L'un d'eux, ancien co-fondateur d'un célèbre groupe coté, est circonspect : « Je possède les moyens financiers d'attaquer et j'ai réussi à réagir. Mais combien d'autres n'ont pas cette chance et n'ont pas pu rebondir après ce genre de revers ? ». Telle personnalité démissionne moins d'un moins après son arrivée. Parmi ses trente-quatre « camarades » de promotion du CPA, au sein duquel il a abondamment puisé pour étoffer son staff - « preuve de la faiblesse de son assise et de ses réseaux », estime l'un d'eux -, tel prestataire mise « en dernier recours » sur la justice pour espérer être réglé, tel président de filiale est écarté « sans avoir rien pu anticiper », tel haut dirigeant est brutalement révoqué. « Il avait sans doute commis une erreur, diagnostique l'un de ses amis.

Lors d'un déplacement, il avait mis Bruno Rousset dans les conditions de tomber le masque. Pour la première fois, ce dernier s'était laissé aller à des confessions personnelles. Rétroactivement, il n'a pas dû le supporter ».

 

Lassitude

 

Exceptés Patrick Petitjean, président d'April Courtage, et le président du directoire Dominique Chalopin, le sommet de la pyramide est confronté à une instabilité chronique et plutôt inédite pour un groupe d'une telle envergure. Les « bannis » rapportent pêle-mêle des expériences de souffrance, des plaies qu'ils cautérisèrent avec peine - parfois grâce aux vertus cathartiques de la justice -, des blessures qui ne cicatrisent pas encore. L'incompréhension et la désillusion dominent. La convergence, troublante, de leurs auscultations expose un homme qui recrute et congédie avec opportunisme, hâte, versatilité et parfois désorganisation.

« La vérité d'un jour peut être balayée le lendemain ». Ils circonscrivent une considération « essentiellement matérielle et utilitariste » des hommes. « A ses yeux, on n'existe vraiment que lorsqu'on lui est utile », examine un membre de la gouvernance d'April. « Face à quelqu'un, son raisonnement est : que peut-il m'apporter ? Rarement : que puis-je lui apporter ? », corroborre un professionnel lyonnais de l'entrepreneuriat. « Une notion lui est peu familière : la fidélité ». Et, souvent citée, la générosité, en dépit d'une fortune estimée à 1,09 milliard d'euros qui, selon l'hebdomadaire Challenges, le place au 35e rang des patrons français les plus prospères. Ainsi, il n'investirait « que » s'il programme un profit, financier ou immatériel. Une règle à laquelle sa fondation pour la micro-assurance, Entrepreneurs de la cité, « se plierait ». Il virevolte abruptement de l'enthousiasme à la lassitude, peut adopter volte-face brutales et ruptures inexpliquées. Il répudie lorsqu'il estime le collaborateur défaillant ou doute de sa capacité à maintenir abnégation, créativité, et labeur. « Il n'accorde pas de seconde chance ». Dominique Chalopin réprouve avec vigueur la critique, apporte ses convictions contraires, mais concède que celui dont la « passion » et l'énergie déclinent « n'a plus sa place ».

 

Pouvoir de persuasion

 

« Rousset, c'est Janus, claque un ancien haut dirigeant, qui juge son cas personnel symptomatique de « beaucoup d'autres : il m'a attiré, et la trahison a conclu notre relation ». « On m'avait pourtant prévenu. Rien n'y fit. Son remarquable pouvoir de persuasion me convainquit », regrette un ex-futur président de filiale. Bruno Rousset prend les traits d'un homme armé d'une « exceptionnelle » intuition pour ses cibles qu'il appâte « mieux que personne ». La stratégie d'approche est uniforme. Affichage des « valeurs », écoute empathique, propos chaleureux, puis tutoiement et disponibilité, tout cela sur le lit d'une réputation fascinante, fertilisent les premiers temps de chaque rencontre, et cisèlent un climat de confiance et de proximité qui tout à la fois rassure, flatte, vassalise. Le séducteur agit. Et réussit. « On croit faire partie du cercle, approcher l'étoile ». Certains prennent conscience d'un « décalage ». « L'image idéalisée créée des attentes que la confrontation à un homme éloigné de cet idéal transforme en déception », analyse un administrateur.

D'autres succombent à cette alchimie, à une force hypnotique qui « donne envie de se donner à fond ». Bruno Rousset a obtenu alors de son collaborateur une servitude à ce qui dicte son propre quotidien : un investissement total dans l'entreprise, jusqu'à provoquer un épuisement physique et psychique qui commence d'émouvoir au sein du conseil de surveillance d'April Group. Un « jeu » volontiers assimilé à cette même « manipulation » que rapportent des observateurs « historiques » encore marqués par la duplicité, troublante, qu'il aurait entretenue avec se seconde épouse. Pendant plusieurs années, celle-ci fut « également » son assistante, mais tous deux auraient tu la réalité intime de leur relation. « Imaginez la stupeur des salariés lorsqu'ils apprirent la situation réelle de cette secrétaire à qui il leur arrivait de se confier... ».

Selon un chasseur de têtes qui, dans sa carrière, a dialogué avec « nombre » d'anciens salariés d'April, « la relation que certains avaient nouée était irrationnelle, presque d'amour ». Et que l'arrêt va donc draper dans un divorce dont la gravité épouse l'ampleur de l'investissement émotionnel, psychique et physique préalable. « Beaucoup commettent une erreur : ils espèrent trouver chez Rousset un modèle, un guide, voire un père de substitution. Or aucun patron et aucune entreprise n'ont cette vocation. Il ne faut postuler que si l'on accepte trois règles : on n'y reste pas plus de trois ans, on y acquiert une riche expérience - c'est un super MBA payé -, et Bruno Rousset n'a pas de disposition affective. Parmi les candidats, je sais distinguer exactement les « compatibles » et les « incompatibles », poursuit le professionnel du recrutement. Et les anciens collaborateurs d'édicter les « conditions » pour s'extraire émotionnellement indemne : maintenir distance et étanchéité affectives, manœuvrer avec discernement et cynisme, embrasser scrupuleusement la logique du fondateur. Enfin, « ne pas chercher à lui ressembler, à être envieux, à croire qu'on « est arrivé ».

 

Complexe

 

Les « valeurs » du groupe, qui placardent la primauté du capital humain, sont-elles usurpées ? « C'est une hérésie, une illusion », claquent les détracteurs. « Lorsqu'on « surcommunique » sur un message, c'est souvent pour tenter d'en compenser la faible matérialisation. April en est l'exemple », assure un ancien dirigeant. La réalité est davantage nuancée. Capital humain, oui. Mais unilatéralement au service de l'entreprise, quand nombre de nouveaux venus, dans le prisme des premiers échanges et des proclamations publiques comme de la réputation de leur employeur, escomptaient une réciprocité. « Or Bruno Rousset construit l'entreprise dans son intérêt, pas dans celui de la collectivité des gens qui la font vivre », énonce-t-on en substance. Exclusivement tournée vers la création de valeurs pour l'entreprise - et son actionnaire principal -, la culture d'April et la rotation élevée des dirigeants semblent donc hypothéquer l'ensemencement de création de valeurs pour les hommes.

Les revers de la logique entrepreneuriale - laquelle est résumée par Dominique Chalopin à l'effacement des césures entre vies privée et professionnelle - ne portent pas seuls la cause du turnover. La personnalité de Bruno Rousset y contribue. Deux situations semblent le décider à la séparation d'un collaborateur : lorsqu'il lui inspire l'impression de s'approprier une part de légitimité du succès, ou qu'il tisse une complicité avec les hiérarques et une popularité avec le personnel ombrageantes. Des perspectives que la rapidité des remplacements stoppe mécaniquement, bloquant tout enracinement dans l'entreprise, et toute transmission de la mémoire. « Deux sentiments l'inquiètent : celui d'être dépossédé et celui d'être mis en rivalité », confirme un conseil en recrutement. Ce qui consolide les explications sur la stabilité de Dominique Chalopin, en poste depuis 2003 : son âge, soixante ans, son inexpérience dans l'assurance, et sa position exposée sur le front opérationnel le placent « hors-jeu » d'une menace sur les deux « poumons » de Bruno Rousset : le pouvoir. Et la reconnaissance, cristallisée par son « complexe du parchemin » - il est « seulement » Bac + 2 - auquel le cursus remarqué de sa troisième épouse (X-Ponts), et sa propre appropriation du label HEC au prétexte que le CPA appartint quelques mois à l'école de Jouy-en-Josas et plusieurs années après qu'il en fut diplômé, font résonance.

 

Entrepreneur exceptionnel

 

La personnalité, les ambitions, le « moteur » véritables de Bruno Rousset demeurent un mystère, cuirassé par une impressionnante maîtrise de lui-même. Il ne laisse transpirer aucune émotion, ne laisse entrevoir aucune faille, ne se risque à aucune confession qui permettraient de fissurer l'écorce de sa personnalité. Une carapace que le succès a endurcie, et qui nourrit le mythe auquel ses partisans se prêtent, eux aussi, dans l'excès. Des partisans dont la présentation porte sur les caractéristiques entrepreneuriales de Bruno Rousset, et donc ne contrarie pas « l'animal à sang froid » que décrivent ses détracteurs. Proximité, disponibilité, accessibilité... « il n'est pas imbu de sa personne, et a su conserver une réelle simplicité ».

L'entrepreneur électrise. Sa passion pour [son] l'entreprise mobilise la quasi intégralité de son énergie, de ses centres d'intérêt, de sa « formidable » intelligence, de son temps, de ses relations. « Elle est obsessionnelle. Tout doit y converger, au point qu'April est à ses yeux une personne davantage physique que morale », note un ancien collaborateur d'Evolem. Et il l'applique : l'architecture d'April agrège un archipel de petites sociétés, une quarantaine, et a fait l'impasse sur le poste de directeur des ressources humaines. « Cette responsabilité échoit à chaque patron de filiale », explique Dominique Chalopin. Autonomie, responsabilisation, réactivité, prises de décision rapides balisent chaque strate du groupe.

Le visionnaire, l'agitateur d'idées, le créateur fascinent. Ce « génie du marketing » a révolutionné le métier de l'assurance. Son indépendance, volontiers rebelle, rompt avec les us de la caste des assureurs et des banquiers. Sons sens de l'innovation et du risque - y compris lorsqu'il recrute des profils étrangers au sérail de l'assurance -, son souci de l'exigence et des remises en question captivent. « C'est-ce qu'il m'a le plus appris, confie Dominique Chalopin, en plus d'une capacité remarquable à accorder instantanément et totalement la confiance ». Des objectifs et des contraintes qu'il s'applique à lui-même autant qu'il les impose aux autres, fécondant là son exemplarité. Le logisticien et le « money maker » sont « hors pair ». Son charisme, peu visible, emprunte les méandres des actes bien plus que des paroles, et explique que la culture et les principes collectifs irriguent l'ensemble des troupes pourtant amalgamées à la hâte et à grands coups d'acquisitions. « Il est l'anti-Tapie », observe un ancien dirigeant qui travailla avec les deux personnalités.

Au sein du conseil de surveillance, on salue pèle mêle sa force de travail, sa ténacité et sa lucidité, on souligne son pragmatisme et sa hiérarchisation pertinente des priorités, on insiste sur sa logique d'apprendre, la cohérence de ses discours et de ses actions, sa vigilance à « équilibrer » les satisfactions des parties prenantes. « Pour toutes ces raisons, il est probablement l'un des meilleurs patrons français », résume l'un de ses membres Jean Gatty. Un conseil de surveillance dont la réalité du fonctionnement est à l'image de son président : ambiguë.

La synthèse des témoignages expose une gouvernance parfois dissonante de « l'indépendance » exhibée comme principale caractéristique. « Les participants ont l'indépendance que leur « poids » autorise », assure l'un d'eux. Son président instaure un « climat de discussion utile », porte une attention « réelle à nos remarques. Sa position majoritaire lui permet de choisir celles qu'il décide de suivre ». Des remarques accueillies jusque dans certaines limites : selon nos sources, il se retira d'un fonds géré par l'un des membres en réplique à une observation embarrassante que celui-ci avait prononcée en séance.

 

Primauté du système

 

Mais le principal attribut de Bruno Rousset est sa science de l'organisation et du système. Son application dans l'entreprise maille la cohérence des descriptions antagoniques de « l'homme » et de « l'entrepreneur », et explique l'inexplicable : comment les prédispositions « humaines » aussi contestées du fondateur, l'instabilité de l'équipe dirigeante, l'accumulation des ressentiments adverses, ne vulnérabilisent-elles pas l'impressionnant essor du groupe? Parce que le système organisationnel et managérial domine les hommes bien plus qu'il s'y assujettit. Il dépersonnifie les postes, comprime l'influence que chaque personnalité imprime, procède à la modélisation rigoureuse des compétences, et décline l'interchangeabilité.

« Dans un contexte extrêmement organisé, aucun départ de dirigeant ne peut donc constituer un quelconque péril », indique un ancien président de filiale. « Bruno considère que le système est autoporteur, et qu'il génère une valeur ajoutée nettement supérieure à celle apportée par les hommes, analyse un membre de la gouvernance d'April. La définition et le périmètre du poste contribuent de manière « bien plus significative » à l'efficacité de la tache que les caractéristiques des collaborateurs qui les occupent. « L'équipe dirigeante n'échappe pas à cette logique ; elle ne doit pas participer à plus de 2 % de la performance », poursuit le témoin. April fonctionne en effet comme une ruche : le cœur du métier est davantage entre les mains des deux mille « ouvrières » que des quelques reines. Lesquelles - les patrons de filiales sont mandataires sociaux - sont soumises à une précarité que le système, loin de les subir, encourage au nom d'une part d'une « pression » protéiforme et omniprésente - « tout le monde est sur un siège éjectable », explique un ancien dirigeant -, d'autre part de l'accomplissement d'un principe « clé » : le mouvement, qui favorise le renouvellement des énergies, la régénération des idées, et d'où jaillit la substantifique moelle du groupe. Peu importe donc que la mutation des « fonctionnels » vers les métiers, nobles, de l'opérationnel accouche d'échecs ; la forte attractivité qu'April et Bruno Rousset exercent auprès des candidats permet d'assimiler automatiquement l'instabilité.

 

« Border line »

 

Pour autant, un tel système est-il pérenne et compatible avec les ambitions de développement? Lorsque le bâtisseur choisit pour charpente l'instabilité, la bâtisse peut-elle espérer être stable? Les faits plaident sans conteste en faveur de Bruno Rousset. Mais ne couvrent pas totalement le doute. « Le revers d'une telle logique de contrôle et de normatisation, c'est le pesanteur. April n'y échappe pas », constate un actionnaire d'Evolem 2. Au sein du conseil de surveillance d'April, on craint que la politique aussi effrénée de rotation du personnel dirigeant ne soit pas adaptée à la conquête des nouveaux marchés courtisés. D'autres éléments, exogènes, pourraient favoriser la fragilisation de l'édifice : l'effet boomerang des déconvenues et meurtrissures humaines, les déceptions provoquées parmi les actionnaires d'Evolem 2, la circonspection que suscite son épouse Vanessa, les stigmates creusées par l'échec de Lyon Capitale. Sans compter l'irruption de mondanités et l'ostentation de fastueuses « fêtes », qui étonnent les témoins de « l'ancienne époque ». « Il devient un homme public, s'écarte du seul registre d'entrepreneur, et donc commence, malgré lui, d'exposer ses failles », analyse un proche. Pour preuve l'exhumation de vieilles interrogations qui continuent de peser sur deux dossiers.

D'une part les conditions de création d'April ; selon nos sources et des témoins « clés » de l'époque, Bruno Rousset aurait initié son empire sur la base d'une architecture informatique et de fichiers clients et apporteurs d'affaires « étrangement » comparables à ceux d'Upese Indépendant dont son associé et lui étaient issus et dont-ils s'étaient séparés brutalement. D'autre part le sort réservé à la mutuelle Mutapril. « Ses effectifs et ses réserves ont fondu comme neige au soleil. Elle tutoyait les 300 millions de francs de cotisation, protégeait 214 000 personnes, possédait 43 millions de francs de capitaux propres et, en 1994, 60 millions de francs de réserve. Où sont-ils passés? », s'interroge un ancien membre de la Commission de contrôle. « Le nouveau code de la mutualité n'autoriserait plus ce genre de mystère ». Un passé qui accrédite une réputation « border line » au nom de laquelle Bruno Rousset fouille jusqu'aux plus lointaines interstices que lui autorise la loi. Ou l'absence de loi.

 

« Pierre philosophale »

 

« Il est devenu une lumière autour de laquelle papillonnent les bestioles. Reste à savoir combien de temps l'ampoule va briller, juge un condisciple du CPA. Si sa toute puissance se met à l'enivrer, alors il pourrait perdre pied ». L'un des piliers d'Evolem 2 fait référence à une ancienne star lyonnaise de l'édition, qui crut détenir « la pierre philosophale et transformer en or tout ce qu'elle touchait ». Jusqu'à son affaissement. « Bruno n'apparaît pas étourdi par la réussite. Mais attention : à se désintéresser ainsi de la vie des autres et de la dimension humaine et émotionnelle qui « fait » les relations, à se laisser la liberté de ne pas honorer une parole tant qu'elle n'est pas écrite, c'est son business même qui pourrait en pâtir ».Les ambitions de l'entrepreneur apparaissent sans limite. Et leur exaucement est crédibilisé par la fulgurance et la solidité de la trajectoire.

« C'est le Fidel Castro de l'assurance. La différence, c'est que si le dictateur cubain ne s'empara jamais des Etats-Unis, Bruno est tout à fait capable de détrôner un jour Axa », prophétise un membre de la gouvernance d'April, et, complète un de ses condisciples, « d'atteindre son objectif : devenir un acteur global et mondial de l'assurance ». La quête de « l'homme », pour lequel aucun témoin ne confie d'admiration, semble plus aléatoire. Dominique Chalopin, à propos de la logique fusionnelle qui lie son patron à l'entreprise, confesse « la comprendre, réussir jusqu'à présent et y contribuer, sans pour autant l'envier ». Bruno Rousset est définitivement insaisissable et insondable. « Une énigme. Qu'il est préférable de ne pas chercher à percer », résume un ancien dirigeant. « Il n'est ni pire ni meilleur qu'un autre patron », poursuit l'un de ses défenseurs. L'erreur est peut-être de donner à croire qu'il est différent.

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Commentaire 1
à écrit le 05/01/2015 à 18:55
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Cet article semble écrit à charge... Evolem aurait il refusé d'investir ? ou April ne souscrirait pas assez d'encarts publicitaires? acteurs de l'économie aurait il une vision à géométrie variable selon son actionnariat ? non je ne le crois pas....qu...

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