[TUP 2015] L’argent : "Mauvais maître, bon serviteur"

Rassemblés pour la conférence inaugurale de la 5e édition de "Tout un programme", organisé par Acteurs de l’économie-La Tribune à l’Université Catholique de Lyon, Bernard Devert, fondateur d’Habitat et Humanisme, Roger-Pol Droit, philosophe, et Jean Peyrelevade, président de la Banque Degroof France, ont argumenté devant plus de 500 spectateurs sur la question de l’argent et de sa destination dans la société de consommation. Un humaniste, un philosophe et un économiste : trois hommes, trois personnalités, trois visions de l’argent pour une conclusion commune : entre une société du troc et une autre du tout argent, une troisième voie reste possible.

Dire "Je n'ai pas d'argent" n'exprime pas la même notion que "Je n'ai pas de monnaie". Ces deux phrases résument à elles seules le paradoxe entre l'usage et la représentation de l'argent. Au quotidien, l'argent prend plusieurs sens derrière lesquels se cachent le patrimoine, la fortune, le budget, "différentes notions faites de représentations collectives", explique en préambule Roger-Pol Droit.

La monnaie contre l'argent

A contrario, la monnaie est un concept pur. Née de l'évolution de l'humanité, animée par le désir d'enrichissement, elle a remplacé le troc, devenu trop complexe. "Le désir de rencontre entre le producteur et l'acteur doit être parfait pour que le troc fonctionne", souligne Jean Peyrelevade.

Jean Peyrelevade

Jean Peyrelevade, président de la banque Degroof France (crédit : Laurent Cérino/ADE)

Instrument d'échange (coquillage, bétail, femme, puis métal précieux), la monnaie s'est imposée comme un lien pour les intentions. Et reste à ce titre "propre, synonyme de neutralité", poursuit l'économiste.

L'argent, un vecteur de lien

Si la monnaie comme lien social est propre, l'argent sale signifie d'abord illégal. Par extension, il est désormais immoral. "L'argent sale n'a pas de légitimé d'un point de vue éthique", indique le philosophe.

Car c'est là le fondement de la question. Tous les moyens d'enrichissement ne se valent pas.

"L'argent est sale quand il est prédateur, quand il pousse à voler, conquérir ou capter au détriment de l'autre. L'argent est propre quand il y a création de richesses nouvelles, quand il contribue à la croissance et donc à l'enrichissement collectif", détaille Jean Peyrelevade.

Si l'argent est un marqueur social, discriminant pour les populations défavorisées, il n'est pas sale pour Bernard Devert quand "il est question de défaire ce qui enferme et abime la société".

Vivre sans argent ?

Au vu de ces antagonismes, cela signifie-t-il que l'on doit pour autant se passer de l'argent ? "Vivre sans argent est une pure utopie. Tout autant qu'imaginer une société sans crime et sans maladie. Nous vivons dans une société basée sur la production d'échanges et la création de richesses", répondent de concert le philosophe et l'économiste.

"Il y a un véritable divorce entre l'importance de l'argent, la monnaie, et ses usages comme le rappelle le philosophe Emmanuel Levinas dans son essai Le règne de l'argent. Mais l'argent n'est pas maudit, ni effrayant », rappelle Roger-Pol Droit.

Roger-Pol Droit

Roger-Pol Droit, philosophe (crédit : Laurent Cérino/ADE)

Sans monnaie, c'est l'angoisse assurée pour les sociétés contemporaines. "L'exemple est récent : il suffit de se rappeler de l'éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro. La question de la monnaie était sur toutes les lèvres", rappelle Jean Peyrelevade.

"Sans argent, sans abri, il n'y a pas de dignité pour l'homme dans notre société, il ne compte pour rien. Plutôt que de fustiger l'accumulation de richesses, il faut prendre l'argent en compte et le réguler. Il faut le penser autrement, l'arbitrer et le perpétuer", renchérit l'humaniste.

L'argent comme un moyen, non comme une fin

Il n'est donc pas raisonnable d'imaginer une société sans argent. Néanmoins, il ne faut pas glisser vers l'argent comme "fin absolue, mais comme un moyen absolu sans fin déterminée", explique encore Roger-Pol Droit rappelant la théorie défendue par le philosophe allemand Georg Simmel, dans son essai Philosophie de l'argent.

Ce que l'évangile traduit par "L'argent est un mauvais maître, mais un bon serviteur", souligne Bernard Devert.

L'argent doit donc participer à l'amélioration du bien commun, et surtout être mieux réparti à destination des plus démunis. La régulation s'impose donc. "Mais dans une certaine limite, dictée par ce qui est acceptable par les individus", tempère l'économiste.

L'argent c'est sale ?

"Rien n'est tout blanc ou tout noir, la question se positionne plutôt dans le gris. Me servir de l'argent ou servir la société : chacun doit pouvoir répondre à sa façon. Il nous appartient de susciter de nouveaux chemins, rassemblés autour de la question du fragile", conclut Bernard Devert.

Bernard Devert, créateur de la société Habitat et Humanisme (crédit : Laurent Cérino/ADE)

Pas de mélange en revanche pour le philosophe Roger-Pol Droit, qui y voit plutôt un "damier, des interactions par alternance".

L'argent, alors, c'est sale ? Difficile d'obtenir une réponse catégorique. L'argent demeure un curseur, indispensable à l'échange, mais qui se déplace selon différents paradoxes, celui de l'usage et celui de la représentation.

Retrouvez les meilleurs moments de la conférence en vidéo :

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Commentaire 1
à écrit le 23/10/2015 à 16:27
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Dommage que les points de vue exposés aillent tous dans la même direction. La monnaie est autant un outil d'échange que d'exclusion. Dans ces conditions, vouloir faire mieux avec un outil qui exclut est idiot. Qui sait, dans une prochaine édition y-...

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