P. de Thiersant  : "Les stations doivent avoir un plan de fond face aux changements climatiques"

Depuis 2003, la Société des Trois-Vallées (S3V) voit sa fréquentation baisser. Les deux derniers hivers n'ont pas permis d'infléchir la tendance pour cette société chargée de la gestion des remontées mécaniques de Courchevel et de Méribel-Mottaret (Savoie), le plus grand domaine skiable au monde avec 542 kilomètres de pistes. Aux aléas climatiques, qui engendrent un renouvellement du modèle économique, se greffe la concurrence autrichienne, et de plus en plus celle de l'Europe centrale, Pologne et Bulgarie en tête. Entretien avec Pascal de Thiersant, qui préside depuis deux ans le directoire de la S3V, détenue majoritairement (51%) par le Conseil départemental de la Savoie.

Acteurs de l'économie - La Tribune. Comme l'an passé, la neige s'est fait attendre en début de saison. Quel est l'impact sur l'activité de la S3V?

Pascal de Thiersant, S3V : Il faut rétablir la réalité du manque de neige... Certes, nos chiffres sont moins bons cette année que l'an dernier. Pourtant, presque tout notre domaine skiable était ouvert dès le début de saison. 50 des 55 pistes de Courchevel étaient skiables.

Mais cela n'a pas suffi, parce que les informations données dans les médias nous ont fortement handicapés. Certaines stations avaient de la neige, d'autres moins... Toutefois les skieurs avaient de quoi se faire plaisir durant les vacances de Noël. Les médias n'ont pas précisé que l'enneigement était très variable.

D'après vous, les médias se sont trop focalisés sur le manque de neige dans certaines stations?

C'est à tel point qu'un nombre très important de nos clients de la semaine du 1er janvier se sont étonnés de voir que nous avions de la neige. Oui, nous avions moins de neige que certaines années, mais davantage que l'an dernier ! Je crois cependant que notre profession a des efforts à réaliser pour avoir une communication plus positive.

Nous aurions dû focaliser notre communication sur tout ce qu'il est possible de faire... y compris quand il manque vraiment de neige, comme cela a été le cas dans certaines stations françaises. Sinon les reportages en resteront à "tout va bien" quand il neige, et à la catastrophe médiatique quand il ne neige pas.

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Comment avez-vous réagi face à ces débuts de saison moins enneigés que les années précédentes?

L'an dernier, nous avions proposé des activités complémentaires en dernière minute. Cette année, les prévisions météo étaient stables à long terme. Nous savions à quoi nous attendre. Aussi, nous avons mieux planifié notre offre : nous n'avons pas baissé nos prix, mais nous avons proposé davantage d'activités extérieures, avec des pistes de luge en altitude, de la motoneige pour les enfants...

Nous avons offert des alternatives à l'activité ski, sur laquelle nous focalisions auparavant. Tout en menant un travail conséquent sur le domaine skiable pour le rendre utilisable au plus vite.

A terme, cette stratégie est-elle suffisante pour vous adapter aux changements climatiques qui rendront l'aléa climatique encore plus important?

Ce type de plan B ne suffira pas à l'avenir. C'est un plan de fond que les stations doivent avoir pour organiser notre activité de manière à ce que le ski, qui reste la première préoccupation de nos clients, reste à un bon niveau de qualité. Mais cela ne se fait pas au dernier moment. Si, cette année, nous avons ouvert une grande partie des pistes, c'est parce que l'hiver précédent avait mis à jour nos faiblesses.

L'été dernier, nous avons fait un travail conséquent pour préparer les pistes, par exemple en enlevant les pierres... C'est du jardinage! Nous avons aussi anticipé en damant les pistes dès que possible en début de saison. Et en produisant de la neige de culture dès qu'il a fait suffisamment froid. Cela nous a permis de produire un domaine skiable tout à fait acceptable.

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Bien sûr, nous devons également développer des activités de substitution au ski, parce que nous ne sommes pas à l'abri de pires débuts de saison. Et parce que les clients viennent de plus en plus passer des vacances d'hiver, et non plus des vacances de ski. Nous devons faire des progrès dans le contenu proposé aux clients. À Courchevel, cette année, nous avons poussé le fat bike (VTT de neige, en anglais), qui se pratique même sur un faible enneigement.

Qu'en est-il de la fréquentation étrangère ?

Les journées-skieurs ont beaucoup diminué en Suisse, en raison du boom de la monnaie helvétique, ce qui a permis de préserver la fréquentation dans nos stations. Cette année, nous assistons au retour des Britanniques dans les Alpes. Mais cela n'est pas tant dû au franc suisse qu'à une nouvelle réglementation de la confédération helvétique, qui impose aux tour-opérateurs britanniques de payer leurs employés au tarif suisse, et non plus britannique.

Ces tour-opérateurs se sont repliés sur la France, d'autant que le cours de la livre a lui aussi fortement grimpé. Cela a compensé la chute du rouble : nous avons perdu les Russes, mais gagné les Britanniques.

Avez-vous constaté un impact des attentats de Paris sur la fréquentation?

Il n'y a pas vraiment eu d'impact. On sent une petite réticence de la part de certains tour-opérateurs, qui nous disent que les Asiatiques ou les Américains sont un peu inquiets. Mais cela ne se traduit pas dans les chiffres.

Télésiège Courchevel

La baisse de la fréquentation ne date pas de cette année. Cela fait plus de dix ans que les chiffres de la S3V sont orientés à la baisse. Comment comptez-vous retourner cette tendance ?

Nous sommes passés de deux millions de journées skieurs en 2003 à 1,5 million l'hiver dernier. Nous sommes en retard cette année, mais nous sommes en train de le rattraper.

Malgré la diminution du nombre de clients, notre chiffre d'affaires a augmenté jusqu'en 2014, avant de baisser en 2015. Nous devons donc avoir une politique commerciale visant à vendre davantage à moins de clients. Cela signifie d'être capable de mieux valoriser nos produits, notamment en vendant mieux notre domaine skiable exceptionnel.

Mais cela passe aussi par un meilleur contrôle budgétaire. C'est ce que nous avons entrepris, permettant ainsi de préserver le résultat financier malgré la baisse du chiffre d'affaires.

Renoncez-vous à attirer de nouveaux skieurs ?

Pas du tout ! L'adaptation de notre politique commerciale et le contrôle budgétaire ont des effets immédiats. Mais pour enrayer la baisse des journées-skieurs, la démarche se situe à plus long terme. Nous misons notamment sur l'hébergement, qui est l'élément déterminant pour faire venir des clients. C'est pour cela que nous avons créé notre filiale Affiniski, chargée de rénover des appartements anciens. Nous offrons l'opportunité à des propriétaires de redonner de la valeur ajoutée à leurs biens.

Nous savons bien qu'il sera difficile d'obtenir des incitations gouvernementales à défiscaliser la rénovation d'appartements en stations; aussi nous travaillons actuellement sur la possibilité d'adosser la rénovation à un détachement d'usufruit. Nous pourrions racheter cet usufruit pour rénover et exploiter certains appartements, avant de rendre l'usufruit aux héritiers au moment de la succession.

Nous tâchons également de faciliter les nouveaux investissements en hôtellerie et en résidences de tourisme, notamment en favorisant la reprise d'établissements hôteliers.

Quels sont les investissements que la S3V privilégie ?

Nous poursuivons notre plan d'investissement de 20 millions d'euros par an d'ici 2023. Après deux télésièges à Courchevel, un télésiège débrayable à Méribel, un espace débutant en fond de vallée, nous allons décaler nos prochains investissements pour des raisons purement administratives.

Mais des discussions sont en cours pour investir davantage sur les pistes et sur la neige que sur les remontées mécaniques. Nous installerons davantage d'enneigeurs et nous ferons plus de travaux sur les pistes. Ces investissements amènent un apport rapide : si on veut faire venir davantage de clients, il vaut mieux ajouter une ligne d'enneigement que changer un télésiège.

Télécabine Méribel

Quelle clientèle cherchez-vous à conquérir?

Nous avons d'abord besoin de connaître nos clients. Nous sommes en train de mettre en place une gestion de la relation client, en vue de pouvoir les fidéliser. Nous avons 25 % de clients nouveaux chaque année.

Or, si notre fréquentation ne progresse pas, c'est que cette nouvelle clientèle ne revient pas, et qu'il y a érosion chez les anciens clients. Cette démarche de gestion de la relation client nous permettra de mettre en œuvre une stratégie de fidélisation. Des stations des Pyrénées ont mis en place de tels outils, et elles ont réussi à fidéliser leurs clients.

Quelles voies cette stratégie pourrait-elle emprunter ?

Aller au ski, c'est encore le parcours du combattant. Il faut trouver un avion, un train, une voiture, un hébergement, un forfait, une location de skis, un moniteur... La démarche est beaucoup trop complexe : nous avons un gros handicap par rapport à d'autres destinations.

Nous devons pousser des produits plus complets que ce que nous proposons aujourd'hui. Quand vous allez à la mer, vous ouvrez votre ordinateur et vous trouvez des produits en pack vous offrant une prestation complète de chez vous jusqu'à votre destination.

Voyez-vous les plateformes telles que Airbnb comme un atout pour relancer la fréquentation?

Bien sûr ! À Méribel-Mottaret, il y a 60 % de lits froids, soit 5 500 lits occupés de façon régulière sur les 14 000 lits que compte la station. Ces plateformes sont un excellent moyen de redynamiser ces lits froids.

Les agences immobilières ont été les plus critiques de ces nouveaux moyens de louer un hébergement, mais Airbnb et Abritel s'adressent plutôt à des propriétaires d'appartements qui n'étaient pas dans le secteur marchand. Cela agrandit la taille du marché. Et à long terme, ces propriétaires pourraient confier la gestion à des agences immobilières.

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Que retenez-vous de la polémique qui a suivi l'enneigement de pistes par hélicoptère dans la station voisine de Sainte-Foy-Tarentaise?

Même les décisions rationnelles ne peuvent pas toujours être comprises du grand public. Si on est objectif, il faut voir que pendant que la station utilisait un hélicoptère, les chenillettes n'étaient pas utilisées. Ils ont consommé moins de carburant que si ils avaient réalisé le même travail avec du matériel au sol. Et s'ils n'avaient pas enneigé, l'économie de la station aurait été bloquée.

On peut prendre des décisions rationnelles, écologiquement responsables, mais qui ne sont pas compréhensibles par le grand public. Or, nous devons tenir compte de l'opinion publique.

Station Société des Trois Vallées

Voyez-vous l'émergence d'autres destinations de sports d'hiver comme une menace pour les stations françaises?

Nous devons renforcer notre attractivité car la concurrence internationale va croissant. On voit une forte poussée de l'Europe de l'est. La Bulgarie et la Pologne vont devenir une vraie concurrence à nos destinations, comme l'Afrique du nord a réussi à concurrencer les plages françaises. Nous devons renforcer notre visibilité sur les nouveaux moyens de communication. Aujourd'hui, nous sommes très peu visibles. Pourtant, notre domaine skiable fait partie des plus beaux au monde.

Les Autrichiens sont en tain de bâtir une machine de guerre qui doit nous faire réagir très rapidement. Ils sont une vraie menace, parce qu'ils ont beaucoup investi et qu'ils ont été capables de faire évoluer le modèle de leurs stations. Ils ont aussi beaucoup travaillé sur l'animation et sur l'accueil.

La France a des efforts à faire en accueil ?

Nous devons être plus performants dans ce domaine. Cela passe aussi par le développement d'animations auprès d'une clientèle qui passe moins de temps à skier qu'il y a 25 ans. Nous devons aussi recréer une ambiance dans nos stations. On sent qu'il ne se passe pas grand chose en fin d'après-midi et le soir.

Et si on veut faire vivre le cœur de nos stations, il faut attirer les clients avec des boutiques plus grand public que haut de gamme. Nos stations ont besoin d'une clientèle haut de gamme, mais elles ont aussi besoin de volume et donc de faire venir des catégories socio-professionnelles intermédiaires.

C'est pourtant cette image clinquante qu'on colle souvent à Courchevel...

On a longtemps donné de Courchevel une image excluante, inaccessible. Nous retravaillons cette image de manière énergique. Courchevel, ce n'est pas seulement la semaine du Nouvel An russe ! Nous expliquons cela aux médias plutôt que de les laisser filmer n'importe quoi, n'importe où. Nous voulons donner une image plus sportive et plus authentique de la station.

La S3V en chiffres :


Effectifs : 376 employés
Chiffre d'affaires 2014 : 61,8 millions d'euros
Résultat 2014 : 4,8 millions d'euros

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