O. Soudieux : "L'explorateur peut ouvrir de nouveaux possibles aux entreprises"

Cet ancien chef de projet au sein de sociétés informatiques, installé à Grenoble, au plus près des Alpes, a progressivement abandonné son activité pour vivre d'aventures et de grands espaces. Homme atypique, animé par la volonté de transmettre et de changer les paradigmes, Olivier Soudieux intervient auprès des entreprises (Sogeti, Groupama, etc.). Il partage ainsi les expériences de ses expéditions, dont certains fragments peuvent faire évoluer les mentalités et les méthodes des sociétés.

Acteurs de l'économie : Qu'est-ce qui vous motive à partager votre expérience d'aventurier avec les entreprises ?

Olivier Soudieux : Vivre, ça sert à découvrir, et découvrir, à partager. En partageant ma vision du monde, j'ai la croyance qu'une richesse supplémentaire peut naître, pour mon interlocuteur comme pour moi. J'ai toujours eu cette fibre-là. Par exemple, lorsque j'étais chef de projet chez Capgemini, je me suis mis à intervenir sur les formations. Puis, j'ai progressivement fait converger ma passion - l'aventure et la montagne -, avec la possibilité de subvenir à mes besoins. Pour cela, j'ai donc décidé de partager mon expérience auprès des entreprises, dans le dessein de la transmission.

Pour découvrir toujours davantage, j'ai besoin d'être en mouvement. C'est une boucle qui s'alimente. Mes expéditions nourrissent mon analyse. Mon action et mes interventions dans les entreprises financent mes expéditions.

Comment décririez-vous votre rôle ?

Mon rôle est d'influer modestement sur le monde, d'injecter du sens. Mettre des étoiles dans les yeux des salariés. Bousculer les habitudes pour ouvrir de nouveaux possibles. Remettre en question, en mouvement, afin que les entreprises ne pensent plus comme hier.

Olivier Soudieux

Comment transférez-vous les expériences de vos expéditions en conseils d'entreprises ?

Lors de ma première grande aventure collective, l'ascension de l'Himlung Hima au Népal, un sommet de 7 230 mètres, nous avons adopté les méthodes classiques de l'entreprise. Mais dans un environnement aussi incertain et imprévisible que la haute montagne, celles-ci n'étaient pas efficaces. Il a donc fallu que je trouve les clefs sur place : en termes d'organisation, de stratégie, ainsi que dans la façon d'appréhender les savoir-être de chacun. Tous ces éléments sont indispensables pour la réussite.

De cette expérience, j'ai cherché à comprendre quel supplément d'âme j'avais acquis. J'ai ainsi structuré ma pensée afin de tirer les enseignements de cette aventure. Elle s'est organisée autour de trois piliers.

Lesquels ?

Conjuguer performance et bien-être dans un univers où tout s'y oppose ; la capacité à être agile et saisir les opportunités : le monde ne se résume pas aux sciences exactes qu'on enseigne à l'école, où l'on nous dit que le chemin le plus rapide, c'est la ligne droite. Sur glacier comme dans l'univers de l'entreprise, suivre une ligne droite t'amène inévitablement dans crevasse à un moment ou un autre. Aussi, il faut être agile, d'où un besoin constant d'adaptation à l'environnement.

Enfin, si mon équipe et moi-même nous nous montrons à la fois performants, sereins, et agiles, notre groupe va pouvoir atteindre un niveau d'efficacité optimale quels que soient les obstacles, ce qui va nous ouvrir la porte à de nouveaux terrains de jeux. A ce moment, l'innovation, en particulier de rupture, est indispensable pour continuer à progresser.

Ces trois éléments permettent de prospérer dans un monde incertain.

Quels parallèles faites-vous entre l'aventure et le monde économique ?

L'environnement de l'entreprise converge de plus en plus avec celui des expéditions. Les imprévus sont nombreux dans un contexte de crise. Le monde de l'entreprise était, auparavant, parfois simple et souvent compliqué. Aujourd'hui il est parfois compliqué et souvent complexe. Cela change deux choses : si vous souhaitez organiser une action dans un environnement simple, il suffit de la planifier et de la réaliser. Dans un environnement compliqué, une réflexion plus élaborée est nécessaire. Il faut de l'expertise et de l'anticipation pour se forger des certitudes  tracer un chemin d'un point A à un point B qui soit viable, même si on peut être confronté à des difficultés et embûches.

Mais dans un environnement complexe, connecté, mondialisé, avec de nombreuses interactions, il n'est pas possible de comprendre simultanément toutes les dimensions de l'ensemble du système, d'autant qu'il est instable. L'entreprise doit donc avancer dans le brouillard, grâce à l'intelligence collective et sur la base la meilleure intuition, comme l'explorateur au cœur d'une tempête.

Dans ce contexte incertain, une stratégie précise et à long terme n'ont pas réellement de sens. Ce qui fonctionne, c'est le partage d'une mission claire, d'avoir un ADN commun, et d'inventer l'action tactique en même temps qu'on parcourt le chemin.

Olivier Soudieux

Comment concilier le court terme, dans un environnement économique changeant, et le temps long, qui permet le développement des stratégies et des visions entrepreneuriales ?

Effectivement, quel que soit l'environnement, il faut une vision, un objectif, un cap.

Mais un business plan à cinq ans n'est pas concevable. Ce genre de vision stratégique est ancré sur le passé, où l'environnement était plus stable. Aujourd'hui, la route est tracée sur du sable mouvant. Le business plan à cinq ans est souvent une obligation pour obtenir des financements. Mais c'est une projection, une fiction sexy pour glaner les deniers nécessaires. Ne vaut-il pas mieux éviter ces fictions afin de concentrer 100 % de ses capacités pour trouver des solutions concrètes ?

Je pense qu'il faut davantage être dans la tactique, dans l'expérimentation. Au lieu d'écrire un chemin qui repose sur de l'information fausse, je pense qu'il faut mieux avancer et écrire au fur et à mesure. Dans le monde complexe, l'expérimentation permet de comprendre les éléments qui manquent à notre réflexion, et ainsi, découvrir dans quelle direction se trouvent les opportunités. Par exemple, dans le cadre d'un prochain projet, qui pourrait être de rejoindre le pôle Nord en partant du Canada, je suis en train de tester des cerfs-volants pour tirer mon embarcation aussi bien sur mer que sur la glace. Je les teste non pas pour vérifier qu'ils fonctionnent, mais adapter mon cahier des charges, afin d'ensuite créer mon propre outil.

C'est l'esprit des startups que vous décrivez...

Les startups fonctionnent comme cela, mais ce n'est pas encore le cas de l'ensemble des entreprises : beaucoup d'entre elles sont encore dans un schéma où elles essayent de ne pas commettre d'erreurs, pour éviter les frais supplémentaires, ou l'accident industriel. Elles se retrouvent  aujourd'hui coincées entre certains concurrents qui ont changé leur mode d'organisation, qui leur permet d'être réactifs, alors qu'elles restent des gros mammouths difficiles à faire évoluer.

Les startups testent à faible coût de nombreuses options, afin d'être confrontées rapidement à leurs erreurs. Au final, elles obtiennent l'expérience nécessaire pour construire quelque chose de solide dans un monde flou. Ailleurs, le modèle encore dominant est à changer, une révolution culturelle est à effectuer. Il faut continuellement tester afin d'ouvrir de nouveaux possibles.

Quelle est votre méthode pour faire changer les mentalités de ces grandes sociétés ?

Contrairement à mon expédition où je pars du rêve pour arriver à la solution, dans l'entreprise, je pars du problème pour amener des outils, un discours. A partir des besoins de l'entreprise, je cherche ce qui peut faire écho dans mon vécu, à partir d'une de mes expériences d'expédition que j'ai analysée et traduite dans des outils. C'est une navette perpétuelle entre ces deux mondes.

Puis je mobilise la forme d'intervention en fonction du contexte. Si le but est de sensibiliser 1600 managers en une heure, comme lors de l'ouverture de la conférence du CJD, cela sera une conférence. Si nous voulons faire changer en profondeur les comportements culturels d'une équipe, comme actuellement au sein d'un groupe de presse, je privilégie les formations et les ateliers.

Ma rhétorique, les images de mon voyage, la magie de certaines situations peuvent faire que les gens, à la fin de la conférence, applaudissent. Ils peuvent estimer que ce moment était génial. Mais le but n'est pas là. Si le lendemain, ils n'arrivent pas à changer leur regard pour agir différemment dans leur travail, nous sommes alors passés à côté de l'essentiel. Chacun peut prendre simplement un petit élément de ma conférence qui lui permette demain de changer son action.

Dans le monde du travail, quels sont les éléments défaillants que vous avez identifiés, et qui reviennent régulièrement ?

L'équilibre entre bien-être et performance économique n'est pas respecté. Cela passe notamment par un manque d'outils. Les entreprises ont de nombreux indicateurs pour calculer la performance, mais combien en ont-elles pour le bien-être ?  Il y a un discours, une intention de prendre en compte l'humain. Mais sous la pression du temps et d'autres contraintes, le manager ou le dirigeant passe cette question au second plan.

L'une de mes expéditions ne s'est pas bien déroulée, notamment car les différents acteurs n'avaient pas des objectifs communs. Je reste satisfait du but principal du projet : que tout le monde puisse gravir le sommet, ce que nous avons réalisé. Mais je suis totalement persuadé que ce fut un fiasco humain. Chacun avait ses intérêts personnels qui n'étaient pas tournés vers l'objectif commun. Il y avait une somme d'individus et non pas un collectif.

Dans cette composition-là, on peut aller loin et plus haut, mais dans une mauvaise ambiance, sans construction humaine. Sans mission commune (outre l'objectif), cela induit un manque de bien-être dans l'équipe, avec des conflits. Ces derniers peuvent faire avancer le collectif, une entreprise, mais seulement dans la mesure où les interlocuteurs ont l'intelligence et la volonté de gagner ensemble.

De cette expérience, j'ai acquis une certitude en matière de management : dans une entreprise ainsi que dans une expédition, le bien-être est aussi important que la performance de l'action. Si  les deux facteurs sont gérés, ils se renforcent l'un et l'autre : être au mieux, pour faire au mieux.

Une entreprise peut réussir économiquement, en broyant de l'humain, en effectuant un turn-over élevé. Le modèle économique peut fonctionner, mais la réputation de l'entreprise va en souffrir. D'un autre côté, les changements de mode de production, de process, dus à un environnement économique concurrentiel  peuvent être réguliers, et désorienter les salariés. Ainsi, que reste-t-il pour les salariés ? Ce qui les unis, c'est le sens, l'être ensemble, le "pour quoi".

Dans un monde de plus en plus individualiste, cette question du sens et de la mission commune prend une dimension encore plus importante.

Olivier Soudieux

Olivier Soudieux, lors d'une intervention à l'Institut du service civique, dont il est ambassadeur.

Constatez-vous des évolutions avec les nouvelles générations arrivant sur le marché du travail ?

Les jeunes générations Y et Z se posent la question du pour quoi. Aussi bien en matière de sens que dans la méthode. Il y a une catégorie de la population qui pose les bonnes questions, devenant ainsi une forme de contrepoids, de contre-pouvoir qui aide à faire évoluer les structures, dans une perspective de meilleur équilibre entre bien-être et performance. Certaines de ces entreprises sont déjà au top dans ce domaine.

Dans un contexte économique concurrentiel, cette autonomie des salariés peut-elle être un avantage pour les entreprises ?

Je pense que oui. Mais l'équilibre reste à trouver. Plus on monte dans la hiérarchie, plus la pyramide des âges est élevée. Ce sont des gens qui ont une certaine vision du monde, expérimentés avec leur façon de manager, avec des habitudes. C'est un frein à l'adaptation permanente, à un management plus participatif et moins hiérarchique.

Une autre réalité est celle des jeunes générations, qui peuvent être beaucoup plus mobiles, et qui incarnent le collaboratif, avec des mélanges de réseaux différents (association, entreprise, personnel). Cette fluidité est un atout. Et face à cet esprit d'initiative, la rigidité de la procédure ou de la hiérarchie n'est pas toujours bien ressentie par les plus jeunes qui intègrent l'entreprise. Il peut donc y avoir des ruptures. Pourtant, c'est un vrai atout pour les sociétés d'aller non seulement vers plus de participatif, mais surtout vers une forme d'autonomie des équipes.

Dans mon esprit, le rôle du manager est de faire que la mission soit partagée, de recruter des personnes pour cela, et de les associer les uns aux autres. Mais l'organisation ainsi que le choix des outils doivent être décidés par les membres de l'équipe. En proposant leurs solutions, ils seront plus enclins à les réaliser, et ainsi à atteindre l'objectif défini. Il y a donc toujours un référent, une organisation, un minimum de hiérarchie. En résumé, il s'agit d'assurer un équilibre optimal  entre un maximum d'autonomie dans un minimum de structure -qui reste indispensable- et l'action de tous guidée par un sens partagé.

Agir comme tel est aussi un moyen de développer la confiance au sein des entreprises, un atout non négligeable dans leur réussite.

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