Cédric Villani : « La recherche ? Une obsession. Et un vertige »

Il est lauréat de la prestigieuse Médaille Fields récompensant le plus grand jeune mathématicien . Emmuré dans son « obsession enthousiaste » de la recherche mais investi dans des préoccupations sociétales et politiques. Cédric Villani a ensemencé un engagement protéiforme dans un même engrais : l'altruisme et la quête « viscérale » de sens.
©Laurent Cerino
©Laurent Cerino (Crédits : Laurent Cerino)

Voilà plus de deux ans que la Médaille Fields vous a été remise, récompensant vos travaux sur « l'amortissement Landau ». Cette distinction a conclu plusieurs années de très intenses recherches, hachées par d'innombrables fulgurances, déconvenues, rebondissements parfois miraculeux, qui ont produit une « métamorphose à l'intérieur de [vous] moi »... Comment bâtit-on une nouvelle perspective intellectuelle, professionnelle, émotionnelle après une épreuve aussi extrême ?

 

 

Comment « repartir » après une expérience aussi contrastée et mouvementée, et au cours de laquelle se sont juxtaposés des sentiments à ce point antagoniques ? Il faut d'abord puiser dans le réalisme. Le problème que j'ai résolu et qui m'a valu la récompense n'est qu'une parcelle de ce que j'aimerais accomplir. Il n'est d'ailleurs même pas celui que j'avais ciblé au départ ! Au moins quatre ou cinq autres grands problèmes me tiennent à coeur, ils constituent autant d'enjeux pour nourrir mon ambition de mathématicien. La difficulté n'est pas de trouver la motivation pour les affronter, elle est d'établir la combinaison et l'opportunité propices. Je n'ai pas trouvé pour cela meilleure voie que de rédiger des cours et des synthèses. Ce travail replace dans un contexte, dans une ambiance, dans des contraintes grâce auxquels j'identifie les perspectives de ma tâche ; j'explore des passages que je mets en lumière, en valeur ou en cohérence, j'accumule les notes et les observations, et ainsi je franchis chaque étape. Cette méthode est déterminante pour s'approprier un nouveau défi et reprendre le chemin d'un engagement que l'on sait nécessairement cahoteux et long.

 


Le phénomène de « résilience », vécu et établi par Boris Cyrulnik, porte sur la capacité de rebondir et d'entreprendre après avoir éprouvé un drame ; peut-on l'adapter à ceux qui, si jeunes comme vous, connaissent au contraire l'apothéose ?

 

 

C'est pendant le travail que l'on connait les affres les plus sombres. Au quotidien on est alors en souffrance, car chaque obstacle constitue une épreuve que parfois on suppose infranchissable et dont on ne sait si elle sera rédhibitoire. Et lorsque cette épreuve n'est qu'une énième à la suite des autres et menace d'écroulement plusieurs mois d'immersion intellectuelle et émotionnelle, le tourment devient immense. En revanche, l'aboutissement forme une libération, et l'émotion, les sentiments sont à la hauteur des doutes, des luttes, des rebondissements accumulés. La difficulté alors pour le chercheur « vainqueur » appelé à investir un nouveau problème - et à ce titre le processus résilient emprunte un mouvement inverse à celui détaillé par Boris Cyrulnik -, c'est qu'il doit abandonner la situation de grande sérénité pour se plonger de nouveau dans une aventure qu'il sait à l'avance théâtre de grandes souffrances. Plus personnellement, j'ai ajouté à cette difficulté intrinsèque du chercheur la responsabilité de directeur de l'Institut Poincaré, une exposition médiatique soudaine, et des engagements aussi passionnants que chronophages et énergivores en faveur de l'Europe, de l'Afrique, de la musique, ou de l'insertion. Toutes sortes de mobilisations qui font appel à des mécanismes intérieurs ou s'inscrivent dans une temporalité bien différents de ceux inhérents à la recherche.

 

 

Justement, être en recherche fait appel à des ressorts humains, émotionnels, comportementaux, très singuliers. Qu'apprend-on sur soi-même lorsqu'on poursuit un travail aussi intense que celui appliqué à l'amortissement Landau ?

 

 

Investir un tel chantier ne peut s'envisager que si l'on a la capacité de s'enthousiasmer pour la « chose », de se focaliser intégralement sur elle, de la faire entrer en soi, au plus profond de soi, de manière obsessionnelle. En ma qualité de mathématicien analyste, la plus jouissante exaltation émane du constat d'être parvenu à explorer, à décortiquer, puis à assembler dans une finalité accomplie, des idées variées, en interaction comme les organes d'un être vivant, sans oublier les infimes détails qui permettront la viabilité de la preuve. A la lecture de la centaine de pages dont l'ensemble à la fois conclut la démonstration et résulte de l'agglomération incroyable d'une multitude de raisonnements, de constructions, de validations tous imbriqués les uns dans les autres, on s'interroge : comment suis-je parvenu à un tel accomplissement ? Ce sentiment, chacun dans son domaine peut l'éprouver. Y compris dans l'entreprise. Toute réalisation humaine invite à se laisser porter par les éléments, puis à les mettre en scène et en résonance, enfin à leur donner une finalité. Autre enseignement : « chacun peut être plusieurs ». Une démonstration mathématique comme celle de l'amortissement Landau a mobilisé plusieurs Villani. Celui qui s'est immergé, sans retenue, corps et âme ; celui qui d'autres fois a contesté certaines pistes ; celui enfin qui s'est demandé quel esprit avait bien pu produire une démonstration finale aussi aboutie... Le chercheur est parfois quelqu'un d'autre que lui-même, il est comme un ordinateur qui intègre différents logiciels de pensée, de logiques, de réflexes qu'il adapte aux phases successives d'un même problème.

 

 

La recherche est effectivement une vocation, parfois sacerdotale aux plans physique et psychique. L'obsession, la dérive pathologique, et même le suicide n'épargnent pas votre communauté. Les destins d'Erdös, de Gödel, de Nash... en témoignent. La marge entre le génie et la folie est ténue. Avez-vous déjà approché l'abîme - lequel fait souvent irruption bien après le couronnement et l'extase de la découverte ? Existe-t-il des remparts, faut-il recourir à une discipline de vie particulière pour s'en prémunir ?

 

 

« Obsession » est bien ce qui caractérise le mieux l'engagement du chercheur, quelle que soit sa discipline. L'obsession est comme un virus qui s'est installé dans le cerveau, qui choisit les parties qu'il va occuper et décide de l'action, positive ou délétère, qu'il va déployer. Tout alors peut arriver. Y compris le déséquilibre, voire l'indicible. Ce que d'autres corporations - musiciens, écrivains, praticiens d'échecs - peuvent connaître... Je ne pense pas que les sciences mathématiques soient plus frappées par la folie que d'autres disciplines créatives.

 

 

Dans le seul domaine des échecs, de l'Américain Bobby Fischer à Mirko Czentovic, « héros » de l'ultime roman de Stefan Zweig Le joueur d'échecs, les exemples réels ou de fiction sont pléthore...

 

 

Effectivement. Adolescent, les compte-rendus des grandes parties d'échecs me fascinaient. Et Zweig dissèque avec brio ce caractère obsessionnel. Alors, pour contenir le « virus » dans l'acceptable et l'utile, pour savoir s'égarer de l'enfermement, faut-il s'imposer une discipline ? Le rattachement à des activités qui impliquent un autre rapport au temps et diversifient notablement l'attention, est précieux. Ils ont pour nom famille, amis, mais aussi responsabilités administratives ou managériales. Celles-ci requièrent une obstination que la rigueur de la méthode et la qualité de l'organisation peuvent suffire à accomplir ; en revanche, cette méthode et cette organisation ne sont pas suffisantes pour juguler les tourments, parfois dramatiques, dans lesquels l'acte de recherche précipite.

 

 

Cet entremêlement d'émotions ambivalentes n'est pas sans rappeler en effet celui qu'éprouvent les artistes. Les processus de recherche et de création scientifique et artistique partagent-ils le même terreau émotionnel ?

 

 

Ces univers ont en commun un certain nombre de particularismes. D'une part l'alternance, le dialogue, vitaux, entre des phases d'acharnées investigations et d'autres, apaisées mais soudaines, desquelles va surgir la lumière qui éclaire la direction vers laquelle on doit s'engager. Comme une rapide expiration qui ferait suite à une profonde inspiration. D'autre part, artistes et chercheurs doivent en priorité fixer un objectif puis une méthode et un plan à leur exploration. Sans dessein, cette dernière ne peut pas aboutir. On n'a jamais vu de bon film sans scénario ou de bon roman sans structure. « Qu'est-ce que je veux faire ? ». Répondre à cette interrogation, qui détermine l'objectif, est aussi crucial que complexe. Et c'est souvent bien davantage l'intuition que la raison qui pave sa résolution. Enfin, on retrouve dans les mondes artistique et scientifique un même antagonisme dialectique entre les dimensions à la fois universelle et localement singulière des actes de créer. Une œuvre symphonique ou picturale transcende toutes les frontières - géographiques, culturelles, de langue -, pourtant on n'écrit pas une partition, on n'engendre pas un dessin de la même manière lorsque l'on réside à Salzbourg ou à Saint-Pétersbourg, à Sienne ou à New York. La science est elle aussi un langage universel qui rassemble les praticiens des cinq continents ; et elle non plus n'est pas produite similairement à Princeton ou à Oxford, à Budapest ou à Shanghai. Car sur chaque territoire se singularisent des communautés, des manières de penser et de faire, des critères d'appréciation, des partages d'expériences, des écoles de pensée, des logiques de communication... Bref autant de particularismes culturels réunis dans le ciment de la proximité, qui font à la fois l'extraordinaire variété et la grande complexité du sujet.

 

 

Nombre des avancées dans votre périple scientifique surgissent la nuit. Le silence, l'extrême solitude, le mystère propres à la nuit favorisent-t-ils la dynamique et la clairvoyance intellectuelles ?

 

 

Sans doute. Et puis il y a les injonctions de la vie personnelle ou professionnelle qui ne vous laissent guère d'autre choix ; c'est le jour que mes enfants ou l'Institut ont besoin de moi, c'est le jour que l'immense majorité des obligations et des sollicitations s'impose. Alors quand vient le soir prend place ce moment « à soi », cet espace de solitude parfois redouté ou jugé apeurant par certains de mes coreligionnaires et que de mon côté j'attends avec excitation car il va héberger ma disposition toute entière à la méditation, à la réflexion, et à la recherche. La nuit, les sens sont à l'affût et s'aiguisent, un peu comme nos ancêtres qui face aux dangers de cette nuit étaient sur le qui-vive. Et ce temps précieux s'allonge lorsqu'en déplacement aux Etats-Unis, le « bruit » administratif français m'atteint avec retard et donc m'épargne davantage.

 

 

Les mécanismes, les appétences, les aspirations de votre cerveau sont tout entier adaptés à l'exercice de la recherche mathématique. Croyez-vous, comme votre confrère Paul Cohen, au « pouvoir de votre cerveau » ?

 

 

Je n'ai pas le même cerveau que Paul Cohen, dont l'intelligence et la capacité de concentration phénoménales sont demeurées légendaires. C'est peut-être dans sa faculté de synthèse, notamment d'observer, de mettre en perspective et de raccorder les situations autant mathématiques qu'administratives ou managériales puis de les intégrer pour en tirer un enseignement ou une conclusion commune, que mon intelligence est la plus performante. Pour cette raison, je suis très fier des ouvrages de synthèse, notamment sur le « transport optimal », que j'ai publiés, car ils résultent d'une réflexion très transversale de la problématique et donc exposent une vision nouvelle du sujet.

 

 

Ces particularismes absorbent-ils correctement les réalités, les exigences, les turpitudes qu'impose le fonctionnement de la société ? Les tyrannies de la hâte, de l'immédiateté, de l'instantanéité, du résultat « utilitariste » caractéristiques de la société marchandes sont-elles compatibles avec l'abnégation, la persévérance, le temps long qui s'imposent à l'exercice de la recherche ? Les jeunes générations sont-elles plus vulnérables que celles qui les précèdent ?

 

 

Effectivement, notre société est prisonnière de ces dictatures, notamment celle du temps court qui s'impose autant aux élus politiques, concentrés sur une réélection qui s'annonce toujours proche, qu'aux entreprises dont on exige des retours sur investissement de plus en plus immédiats. Regardez l'actuel gouvernement : dès septembre, alors qu'il ne disposait du pouvoir que depuis l'achèvement du scrutin législatif mi-juin, il était l'objet d'anathèmes au nom du temps que soi-disant il prenait pour déployer les réformes ! Cinq ans, c'est cinq ans, ce n'est pas trois mois ! On ne peut pas juger de manière aussi hâtive l'action d'un gouvernement. Cette dictature n'épargne plus aucun domaine. Dans celui de l'information, dopé par le progrès technologique, tout désormais est instantanéité, et nous sommes submergés via une multitude de canaux - « alertes infos » mail ou smartphones, internet, chaînes d'information en continu, etc. -, au point que le travail même des journalistes est bousculé : « on » me demande désormais des réactions ou même d'écrire des tribunes sur le champ...Le temps de la recherche et, au-delà, celui du développement sont longs. Et cette logique devrait irriguer très loin. Prenons l'exemple de l'Afrique, qui me tient tant à cœur. Raisonner court terme, c'est refuser au nom des risques géopolitiques ou d'exigences en matière de retour sur investissement, de s'engager dans un continent dont le potentiel humain ou culturel et dont les réserves de matières premières sont pourtant inouïs. Investir dans l'intelligence africaine, c'est faire un pari gagnant mais nécessairement plus lointain. Or il y a trente ans, qui donc aurait imaginé que les étudiants ou la capacité d'innovation chinois deviendraient un enjeu géopolitique aussi considérable ? L'Afrique de 2040 peut parfaitement être l'équivalent de la Chine de 2012. Encore faut-il que les décideurs politiques, économiques, industriels français en aient conscience et acceptent d'agir sur le long terme...

 

 

Sauf que l'on ne peut plus raisonner au sein du seul périmètre hexagonal. Or l'Union européenne, à laquelle la France financière, économique, politique, bancaire est arrimée, n'est pas moins assujettie à cette tyrannie de l'instantanéité...

 

 

C'est exact. Et c'est même pire, parce qu'aux dictatures communes à la France s'en adjoint une autre, spécifique : celle de la bureaucratie. Qu'est-ce que la bureaucratie ? C'est inoculer de la technostructure dans les interstices d'un édifice que l'on a préalablement dépouillé de sens. En clair, on établit une règle, puis deux, puis trois, et ainsi de suite afin de combler ce vide de sens, et on atteint un enchevêtrement de règles, souvent contradictoires, qui forment un obstacle infranchissable, un puissant frein à la volonté de « faire ». En mathématique comme en gouvernance, on n'accomplit pas d'objectif si concomitamment on ne l'a pas escorté d'un sens. Or la construction européenne est aujourd'hui dépourvue de sens. On  inonde de « monnaie unique », de « règles budgétaires », de « discipline financière », d'« harmonisation des outils » ... mais on a oublié le sens même de l'Europe : être bien ensemble et agir ensemble. Or la jeune génération tout à la fois est plus idéaliste que celle actuellement aux manettes du pouvoir, et démobilisée devant tous ces sujets aujourd'hui vides de sens.

 

 

Cette quête de sens, et au-delà l'utilité, la destinée d'une recherche mathématique vous importent-elles, ou bien, comme dans le domaine de la création artistique, l'acte se suffit-il à lui-même ?

 

 

Cette préoccupation est omniprésente. Il est exact qu'en mathématique le chercheur oscille entre les vocations « utilitaire » et « non utilitaire » de son travail. C'est cet aller-retour incessant qui est fructueux. L'art pour l'art est aussi une manière de trouver un sens, tout comme le droit pour le droit ; dans les deux cas la matière devient un sujet en soi, à partir duquel on décide - ou non - d'en extraire des enseignements ou des applications dits « utiles ». En matière de droit, des chercheurs s'attachent exclusivement à ladite matière quand d'autres peuvent avoir pour motivation suprême la volonté d'améliorer la performance de la justice. Il faut le respecter et le comprendre. Pour ces raisons, les notions d'abnégation, de dévouement, d'altruisme sont essentielles dans la constitution du travail du chercheur.

 

 

Le Problème auquel tout chercheur s'attèle apparaît au gré des avancées une quête, une proie, un ennemi, un complice, une maîtresse tour à tour insaisissables et maîtrisés... mais toujours profondément respectés. Est-ce cette singularité commune à tous les chercheurs qui explique l'humanité particulière, la loyauté, la bienveillance, même la fraternité qui, au-delà des rivalités humaines ou des querelles professionnelles parfois sanglantes, caractérisent votre communauté scientifique ? Que la mathématique soit « démocratique » contribue-t-il à ce particularisme ?

 

 

Ces rivalités existent. Toutefois elles résultent moins de « guerres d'égos » que de convictions immarcescibles. Un laboratoire peut être mis à feu et à sang simplement parce que des chercheurs divergent sur le choix des sujets à enseigner aux étudiants, chacun, viscéralement attaché à sa discipline et à la volonté de transmettre, étant totalement habité par sa conviction et voulant coûte que coûte l'imposer dans l'intérêt de l'auditoire. C'est aussi ce côté passionnel qui explique la réelle solidarité et la sincère fraternité qui caractérisent la communauté de chercheurs et dépassent souvent l'intensité de celles propres à la nation. L'« internationale mathématique » peut résonner bien plus fortement que le sentiment d'appartenance à un pays.

 

 
L'humilité que dicte tout travail de recherche et qui donc s'impose équitablement à tous les scientifiques n'y est pas non plus étrangère...

 

 

Tout scientifique, aussi éminent et brillant soit-il, ne peut être qu'extrêmement modeste car son champ de connaissances et de maîtrise est infiniment petit face à l'ampleur des interrogations et des problèmes. L'essentiel échappe à chacun d'entre nous, et donc chacun d'entre nous doit savoir s'effacer devant la montagne qui se dresse devant lui et qu'il ne parviendra jamais à gravir.

 

 

Êtes-vous heureux à la tête de l'Institut Poincaré ? Les particularismes, les conditions, les exigences propres à l'activité de chercheur semblent si éloignés et même antithétiques des contraintes, y compris bureaucratiques, qu'impose l'accomplissement des responsabilités managériales et administratives dans un tel établissement... Et votre utilité ne s'exprime-t-elle pas davantage ailleurs ?

 

 

Dans cette fonction je me sens utile, et la fonction me rend heureux car j'y apprends beaucoup. Qu'il s'agisse de problématiques de gouvernance, de hiérarchie, de management, de méthodes - par exemple pour agréger les énergies et les bonnes volontés autour d'un projet ou pour « vendre » ce dernier à l'extérieur -, ces trois dernières années ont été très bénéfiques. L'expérience vaut bien davantage que tous les meilleurs cursus de management !

 

 

Un tel apprentissage pourrait-il vous aider dans la manière d'approcher un nouveau Problème mathématique ?

 

 

J'en doute, mais on ne sait jamais. L'inverse en revanche est une réalité : ce que l'on apprend en recherche est utile au management. Par exemple, en mathématique, lorsqu'on bute sur une phase on peut en approcher une autre, laquelle, une fois résolue, permet d'éclaircir la première. Cette capacité de prendre de la hauteur et de visionner une problématique dans sa globalité pour en hiérarchiser et en travailler ensuite chaque facette sert au-delà des tâches managériales : lorsqu'on doit serpenter dans les méandres épuisants de l'action administrative.
Quant à ma responsabilité de « patron » de l'Institut, j'ai fait le choix de l'exercer sans l'imperméabiliser par rapport à mon activité de chercheur. Cette stratégie « globale », je la justifie - y compris en matière de communication extérieure - par la volonté de servir concomitamment et équitablement les intérêts croisés de mes missions. Ma visibilité en tant que mathématicien Médaille Fields profite à l'Institut, le domaine de compétences de ce dernier et les responsabilités qu'il m'attribue participent à mon développement. Tout est question de synergies bien dosées. Enfin, un directeur - comme un chercheur - doit sans cesse être à l'affût des opportunités, et pour cela doit cultiver son feeling, son appétence à la curiosité et à l'empathie, son enthousiasme et sa rigueur. C'est souvent lors de rencontres inopinées que germent des projets, des collaborations. Et des solutions.

 

 

La bureaucratie n'a bien sûr pas contaminé que l'Union européenne. Elle ramifie l'administration française, particulièrement dans les domaines de l'enseignement supérieur et de la recherche. Etes-vous parvenu à irradier suffisamment de « sens » dans votre établissement et auprès de vos collaborateurs pour leur épargner le recours bureaucratique ?

 

 

Je m'y emploie. L'essentiel est de trouver le bon équilibre, afin que porteurs de sens et garants de la technostructure et des règles cohabitent dans un même dessein. Pour avancer, il faut être toujours en mouvement, renoncer aux arrêts. A chaque instant, on oscille entre déséquilibre et rééquilibre, et c'est le maintien de cette posture qui assure le bon fonctionnement d'ensemble. Le rééquilibre est assuré par l'administrateur qui veille à ce que l'ossature administrative, organisationnelle, juridique demeure solide et favorise alors le foisonnement d'un déséquilibre dont l'inspirateur est le directeur. Alors peut progresser un « bon déséquilibre progressif et maîtrisé ».

 

 

Vous le rappelez dans votre roman, nombre de grands mathématiciens et, au-delà, de scientifiques, sont juifs. La Hongrie, la Russie, la France qui ont développé des méthodes et des écoles d'apprentissage particulières concentrent un nombre élevé de ces talents. Ce double constat vous apprend-il, y compris sur vous-même, à mieux distinguer ce qui relève de l'inné et de l'acquis ?

 

 

La représentation des cerveaux juifs dans la science mathématique est effectivement impressionnante. Ceci étant, il est presque impossible de distinguer dans les activités humaines l'inné et l'acquis, car tout - l'héritage génétique, la culture, l'éducation, etc. -  est entremêlé et se nourrit simultanément. L'histoire, la mémoire, les repères culturels de la famille dans laquelle on est élevé influencent la vision propre que l'on a de ses origines et donc le regard que l'on porte sur soi et les centres d'intérêt auxquels on se destine. Ainsi, je suis (en partie) d'origine italienne, amoureux de l'Italie, et quand j'ai été en résidence universitaire en Italie j'ai appris la langue en un temps record, comparativement à d'autres : on pourrait dire que c'était "dans mes gènes" mais bien sûr c'est une explication peu plausible ; il est probable en revanche que la conscience de mes origines italiennes a accru ma motivation. Pour les mêmes raisons, un juif hongrois peut se destiner à la mathématique parce qu'il poursuit une lignée de brillants ancêtres dans le sillage desquels il se sent à la fois motivé et confiant. N'oublions pas que dans la première moitié du XXe siècle, les juifs autochtones avaient fait de Budapest un havre de tolérance et de bien-être, un véritable écosystème propice à toutes les formes - artistiques, sociales, intellectuelles -  d'épanouissement. Un tel contexte compte aussi.
En revanche, je ne crois pas à la virginité et à l'égalité - même plutôt l'égalitarisme - des intelligences, lesquelles ne se constitueraient qu'à partir des conditions et de l'environnement dans lesquels elles évoluent. On ne peut pas faire abstraction de la réalité génétique. Le cas de l'Indien Srinivasa Ramanujan est emblématique. Ce mathématicien exceptionnel mort en 1920 développa un savoir dans l'appréhension des nombres et la formulation des théorèmes peut-être jamais égalé. Il était né dans une famille pauvre trente-trois ans plus tôt et n'avait jamais eu de maître dans sa discipline ni même reçu une quelconque influence... Seule sa prédisposition et une mutation expliquent, à mon avis, une telle fulgurance surgie de nulle part. On voit bien, au passage, sur cet exemple, et pour éviter de graves écueils, qu'il ne faut jamais confondre « transmissible » et « génétique ». Une richesse peut se transmettre en héritage sans grande altération, mais un gène sera transmis dans un complexe considérable, avec un mélange et des erreurs, qui peuvent changer ses effets du tout au tout en fonction de l'interaction avec d'autres facteurs. On le voit sans cesse avec les traits de caractère physiques, qui souvent ne sont transmis qu'imparfaitement, ou pas du tout (je me souviens qu'un livre de biologie, que je lisais enfant, mentionnait que le comédien Sim, célèbre pour sa laideur comique, était le fils d'une reine de beauté). En tout cas je ne doute pas que tout ce qui est un tant soit peu complexe en nous est un mélange inextricable d'inné et d'acquis, et que même dans le domaine de l'inné, on ne peut pas parler simplement de transmission des caractères.

 

 

« L'œuvre » d'enseignement, vos engagements dans le partage et la transmission du savoir, visent-ils à leur niveau à « réparer » l'injustice de l'acquis par la faute de laquelle le milieu intellectuel, social, culturel, détermine grandement la manière dont un cerveau richement prédisposé va - ou non - s'épanouir ?

 

 

Cette préoccupation est inhérente à ma vocation. Et elle interroge d'ailleurs la représentation de l'intelligence que la société établit. L'appréciation d'une intelligence dépend beaucoup du contexte dans lequel elle est jugée. Transportez dans un milieu rural un brillant scientifique victime du syndrome d'Asperger altérant ses facultés sociales et de communication, il sera considéré crétin. Tout comme un maître charcutier exceptionnel « planté » sur l'estrade d'une enceinte universitaire... L'un et l'autre sont la preuve qu'il existe une multitude d'intelligences, qui simplement s'expriment différemment et prospèrent en fonction des éléments avec lesquels elles sont en interaction. Pour cette raison, je ne connais pas notion plus stupide que le « quotient intellectuel », qui malheureusement n'est pas tellement passée de mode. L'intelligence ne vaut d'être évaluée qu'à l'aune de l'environnement dans lequel elle évolue. Parler de « l'homme le plus riche du monde » a un sens ; évoquer « l'homme le plus intelligent du monde » n'en a pas le moindre.

 


La musique occupe une place essentielle dans votre vie, y compris en accompagnant vos travaux nocturnes. Compositions musicale et mathématique se font-elles écho? Parfois même s'épousent-elles ? La fulgurance des émotions sécrétées par le second concerto de Prokofiev ou le répertoire de Jean Ferrat peut-elle être rapportée à celle d'une résolution mathématique ?

 

 

Ces émotions peuvent avoir en commun de résulter d'un même émoi devant la perfection, l'organisation, l'architecture des cheminements qui ont conduit à l'acte artistique ou mathématique admiré. On peut être émerveillé par la fulgurance, presque miraculeuse, d'une harmonie, d'une mise en scène des sons, d'une articulation des instruments. De même on peut être impressionné devant la somme, fluide, structurée, des raisonnements et des équations par la grâce de laquelle un théorème trouve sa résolution. La manière dont ces édifices fonctionnent nous arrache un sentiment, rare, d'exaltation.

 


Les répertoires qui vous procurent le plus d'émotions partagent-ils une structure mathématique particulière ?

 

 

Oui. Chez mes compositeurs fétiches, comme Prokofiev ou Ligeti, je repère la recherche d'une alliance, complexe, entre deux formes d'expression : mécanique et lyrique. Le romantisme y est aussi présent, car ces répertoires manient la douceur et la dureté, et donc explorent des amplitudes émotionnelles très larges.

 


Ces compositions caractérisent-elles votre personnalité ?

 

 

Sans doute, si  je me réfère à ma préoccupation de l'esthétique.

 


Vous dirigez l'Institut Poincaré à Paris et demeurez rattaché à l'Université Lyon 1. Vos expériences exaltantes de résident à Berkeley et surtout à Princeton, et, au-delà, vos interventions sur les cinq continents, interrogent votre appréciation du terreau scientifique français et de la considération des chercheurs. Si Paris est « la capitale mondiale de la mathématique », les systèmes administratif ou de financement de la recherche en France sont-ils décourageants et obsolètes ?

 

 

Ma participation au Comité de pilotage et d'assises de l'enseignement supérieur et de la recherche m'impose une certaine retenue. Toutefois, il est une réalité que la dérive bureaucratique a envahi notre fonctionnement. Chaque directeur de laboratoire pourrait le confirmer. Dans le simple domaine de l'évaluation, le nombre de documents à fournir a doublé en dix ans et décuplé en trente. La prolifération des indicateurs objectifs appelés à se substituer à la supposée partialité des avis « humains » des experts, est devenue une maladie. Ces indicateurs sont, de plus, insuffisamment compatibles avec les spécificités des travaux scientifiques dont la grande diversité et l'extrême singularité exigent des appréciations dosées, nuancées, adaptées. Donc la note a remplacé l'avis, et la multiplication des notes signifie autant de tableaux, de contrôles, de recensions. Ceci étant, contrairement aux préjugés, le système américain n'est pas moins défavorable : les chercheurs sont contraints de produire une somme surréaliste de documents ou d'attestations maintes fois croisés et recompilés. Cet appétit bureaucratique en France n'est pas étranger au goût que l'on y cultive pour les structures. Il se traduit par un tel nombre d'hybridations et d'empilements que la vocation originelle de générer des collaborations est mécaniquement entravée. Certes, la possibilité de créer des unités mixtes universités - CNRS constitue un socle déterminant de la dynamique de recherche française. Mais ces précieuses alliances ont aussi besoin de rationalité et de cohérence afin de ne pas voir leur lisibilité dissoute et ne pas être étouffées par le diktat bureaucratique. Moi-même aujourd'hui je juxtapose les mentions de l'Institut Poincaré, de l'Université Lyon 1, de l'Université Pierre et Marie Curie, du Labex CARMIN, de l'Initiative d'excellence de l'UPMC...Ce dont souffre également le système français, c'est sa propension à coudre d'indélébiles étiquettes, généralement brodées dans l'établissement où l'on a accomplit son cursus d'étudiant. Ainsi avec cette classification, cette hiérarchisation, et in fine cette logique de caste, est-on « à vie » Enarque, Normalien, ou Polytechnicien. Et on induit l'idée que l'on « est » pour toujours ligoté à une « espèce » et à une représentation. Au point que d'aucuns recrutent, promeuvent, emploient davantage le représentant d'une école prestigieuse qu'une personnalité, une compétence, un savoir être et un savoir faire.
Enfin, la dérive bureaucratique est escortée par un autre phénomène, tout aussi malthusien : l'arsenal juridique qui corsète désormais l'exercice scientifique - l'Académie des sciences a publié en septembre 2012 un rapport pimenté sur cette « bureaucratie mortifère en train d'étouffer la recherche », NDLR. Nous sommes inondés d'ordre de mission, d'obligations de preuves, de certifications, ou de contrôles, par la faute desquels le temps consacré à vérifier les conformités de toutes sortes ou l'absence de fraude est supérieur à celui que nous aurions consommé en cas de déviance. Ce système, qui peut parfois s'apparenter à une chasse aux sorcières aussi inepte que coûteuse, à la fois traduit et consolide l'absence de confiance. Or les chercheurs français ont la réputation d'être animés par une dimension altruiste et idéaliste assez unique, encore peu polluée par le dogme marchand ; n'entachons pas davantage l'exercice de leur vocation.

 

 

La suprématie du Principe de précaution, qui irradie bien au-delà de la recherche scientifique et a pénétré l'ensemble des comportements, n'est pas étrangère à cette dérive. En mesure-t-on déjà les effets sur la manière d'appréhender l'acte de recherche, l'acte de responsabilité, l'acte du risque ?

 

 

Il est nécessaire d'attendre encore plusieurs années avant de pouvoir répondre. D'avoir décidé de mettre ledit Principe en débat public était opportun, dès lors que la démarche visait à encadrer la manière « responsable » et « morale » d'agir dans des domaines aussi vitaux et durables que l'environnement ou la santé. L'initiative était d'autant plus utile que les capacités de progrès technologiques étaient devenues excessives voire incontrôlables, et qu'il fallait contrer les dérives d'une logique du rendement et du profit, d'une préoccupation comptable et quantifiable grandissantes. En revanche, cette démarche louable n'aurait jamais dû atteindre l'inscription dans la Constitution. Celle-ci n'a pas vocation à devenir le support d'un tel sujet.

 

 

Dès la naissance, la culture éducationnelle participe à conditionner le cheminement. Dans votre domaine, l'approche américaine très décomplexée de l'échec favorise-t-elle l'engagement ultérieur du chercheur exposé tout au long de son travail à un amoncellement d'obstacles, de renoncements, d'esquives ?

 

 

Le statut de l'échec est très différent d'en France. Dans l'Hexagone, celui qui échoue est avant tout un incapable, succombant lui aussi à la culture manichéenne de l'étiquette. Dans la tradition américaine qui aime les héros, promeut l'individualisme, et juge avant tout sur les actes, l'échec est même valorisant, car il drape de « battant » celui qui est parvenu à le surmonter et à rebondir. Outre-Atlantique, cette faculté est davantage reconnue que celles ayant trait au niveau intellectuel ou à l'expérience. Les élections américaines nous en ont donné maints exemples. En témoigne la victoire de Georges W. Bush, d'une consistance bien pauvre mais cultivant son image de battant, sur un Al Gore aux antipodes. Les récentes « prouesses » des candidats républicains aux élections en cours, avec des prestations plus pitoyables les unes que les autres, montrent aussi combien l'on favorise, outre-Atlantique, les qualités de dynamisme et d'entreprise en regard des qualités intellectuelles.

 

 

L'une de vos éminentes consoeurs, Américaine d'origine chinoise, tourne en dérision le fameux classement de Shanghai, censé établir une hiérarchie mondiale des universités et qui, en France notamment, a fait l'objet d'une sacralisation ayant motivé le processus de regroupement des établissements français et conditionné l'affectation d'une partie des subsides publics. « Quoi ? Il est considéré, en France, comme très prestigieux d'être sur ce classement chinois ? Vous, Français, marchez sur la tête. Vous inversez les rôles...», raille-t-elle. La hiérarchie politique et universitaire s'est-elle fourvoyée en assujettissant sa stratégie au dogme de cette norme uniformisée ?

 

 

La France est effectivement le pays dans le monde où le classement de Shanghai est le plus écouté. Et cette attention toute particulière s'accommode bien du syndrome, lui aussi très français, d'auto-flagellation consistant à exploiter ce classement pour démontrer que les universités françaises sont à la traîne. Chaque année on assiste au même scénario : le classement est publié, le ministre promet « de faire mieux la prochaine fois », et la presse fustige le retard des établissements... Quelle aberration ! Motiver les rapprochements entre universités par ce classement est bien sûr une erreur. Pour autant, ces rapprochements ne sont pas dénués d'intérêts, notamment pour mutualiser les ressources, les dépenses, et les recrutements d'étudiants - pénuriques dans les disciplines scientifiques - mais aussi pour favoriser les financements publics aujourd'hui asphyxiés par les attentes des... 83 pôles universitaires de recherche. Encore faut-il tenir compte des logiques territoriales et historiques, et des opportunités de complémentarité comme d'image. La naissance d'une Université de Paris mobiliserait ainsi autant de partisans - au nom de la « marque », de la lisibilité internationale, de la dynamique issue de la fusion - que de contempteurs - peur d'un « Etat dans l'Etat » incontrôlable dévalorisant le ministère ad hoc, d'une dissolution des identités universitaires pour certaines d'entre elles mondialement réputées. Cette question du regroupement n'est qu'une parmi les dizaines qui se posent durant les assises, mais elle montre bien que le vrai problème n'est pas le classement international. Le seul intérêt, bien involontaire, dudit classement de Shanghai, est qu'il a déclenché une prise de conscience de la classe politique qui s'est enfin penchée sur l'état du « malade » et a commencé de saisir l'enjeu stratégique que constitue la recherche.

 

 

En France, les sciences « dures » ont peu à peu relégué voire discrédité dans l'opinion publique comme dans les processus de recrutement, les sciences humaines ou sociales. Le combat de ces sciences est âpre, et l'audacieux mariage des deux Ecoles normales supérieures de Lyon - toujours retoqué par le Conseil d'Etat mais auquel vous avez assisté lorsque vous oeuvriez au sein du laboratoire de mathématiques de l'ENS Sciences - n'est qu'exception. Positionner la recherche dans l'appréhension du monde et de ses bouleversements n'exige-t-il pas de rééquilibrer ces deux pas de la science ?

 

 

C'est essentiel. Les sciences humaines et sociales ? On ne les prend pas assez au sérieux mais les effectifs sont surreprésentés : voilà ce que pense nombre de personnes. Une alliance équilibrée est capitale. Notamment parce que toute science, aussi « dure » soit-elle, émane d'être humains, et parce qu'être performant dans ces disciplines exige des méthodes, une gouvernance, un management, une psychologie qui relèvent des sciences humaines. Issu de l'ENS rue d'Ulm où coexistaient littéraires et scientifiques, le partage des savoirs et des expériences avec les premiers fut pour moi d'un apport, et notamment d'un éveil culturel, inestimable. C'est toujours dans la rencontre avec la différence que l'on s'enrichit. Comme s'y emploie, dans « l'autre sens », mon ami Jean-Yves Le Déaut (député PS et père de Cédric Le Déaut, directeur de cabinet et de la communication de la Région Rhône-Alpes, NDLR) lors de ses interventions scientifiques ou technologiques à Sciences Po, tout ce qui concourt à exposer les individus à « rencontrer la différence » est déterminant. Car c'est dans ce creuset que l'on s'enrichit. Et c'est notamment parce qu'on y pratique culturellement le mélange et le syncrétisme entre les disciplines que je me suis tant plu à Lyon.

 

 

D'importants progrès ont été réalisés pour abattre les hauts murs qui ont longtemps cloisonné les mondes privé et public, de l'entreprise et de la recherche. Mais les résistances idéologiques demeurent vives...

 

 

Cet enjeu du décloisonnement est capital. A mon arrivée à la direction de l'Institut Poincaré, le conseil d'administration était presque exclusivement composé d'universitaires, et j'ai insisté pour que le président soit un représentant de l'entreprise - Nicolas Chanut, Pdg de l'entreprise d'actuariat Exane, mais qui a démissionné « faute de temps » de son mandat à l'été 2012, NDLR. Les mondes du privé et du public ont tellement à apprendre et à se donner mutuellement... La culture du résultat et de l'opérationnalité propre aux acteurs du privé est peu naturelle dans le public, où l'on est insuffisamment habitué à raisonner « objectifs », « cap », « plan ». A l'inverse, le privé a à apprendre de l'altruisme et des idéaux consubstantiels aux missions dont nombre de fonctionnaires s'acquittent avec dévouement.

 


La nature, la vocation, les conditions d'exercice de votre travail participent-elles à modeler votre conscience politique, à irriguer le sens de votre vocation comme celui de votre existence ?

 

 

Oui. Et de manière considérable. J'exerce deux métiers très différents, mais l'un comme l'autre me placent au cœur de la société et de ses enjeux. En ma qualité de chercheur, tout ce que j'essaie d'accomplir s'emploie à servir le progrès. Dans la peau de directeur, je m'escrime à composer une équipe pluridisciplinaire, formée de personnes d'horizons et de compétences différents, que je dois fédérer autour d'un objectif commun. Donc mes tâches de chercheur et de directeur interrogent quotidiennement le sens de mes engagements. Et cet ensemble, bien sûr, connait une traduction politique puisqu'il participe au fonctionnement de la cité. Un jour, j'accouplerai à cette traduction politique un engagement...

 

 

A gauche ?

 

 

Ni à gauche, ni à droite. Dans le champ européen. Je suis vice-président du think tank Europa Nova et me définis fédéraliste, c'est-à-dire adepte d'une véritable intégration politique, d'un transfert de souverainetés nationales, d'une organisation Europe-Etats comparable à celle, française, Etat-régions, qui placent le « sens » en tête de l'attelage.

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